« ON EST TOUJOURS PLUS FIDÈLE QU’ON L’IMAGINE »
À la fois scénariste, romancier, comédien et cinéaste, Jacques Fieschi compte dans sa filmographie nombre d’adaptations parmi lesquelles L’Adversaire, Les Nuits fauves, L’École de la chair ou, plus récemment, Illusions perdues (avec un césar à la clé). Di
Selon vous, que signifie adapter ?
Jacques Fieschi. C’est aimer suffisamment une oeuvre pour avoir envie de la rêver un peu. C’est même, parfois, concevoir d’autres éléments qui n’y figurent peut-être pas ou pas complètement et s’abandonner de la façon la plus libre possible à cette expérience de voisinage qui s’appelle l’adaptation. Mais cela n’implique pas que l’on soit infidèle ou qu’on s’affirme contre l’oeuvre. Il y a au contraire un lien affectif qui se crée avec elle.
Adapter, c’est être forcément infidèle ?
J.F. Non ! D’ailleurs, même lorsqu’on croit être infidèle et que l’on prend des libertés formidables, on est toujours plus fidèle qu’on l’imagine. Lorsque je lis une oeuvre que je dois adapter, je prends quelques notes, j’en fais une espèce de classement, puis j’écris le scénario. Je n’ai pas du tout envie d’adapter un livre en me livrant à une sorte de contre-expertise. Il y a des gens que cela excite ; moi, pas du tout !
Quelle a été votre première adaptation ? Et comment l’avez-vous abordée ?
J.F. Ce fut Quelques jours avec moi pour Claude Sautet, d’après un roman de Jean-François Josselin. Le livre était bref et nous n’avons retenu qu’une situation. C’est là, avec Jérôme Tonnerre, l’autre scénariste, qu’on a été le plus inventifs par rapport à la matrice initiale. On a gardé le ton grinçant, l’ironie, les scènes de comédie, mais Sautet nous a demandé de nous laisser complètement aller, donc on a ajouté des scènes burlesques, satiriques, amoureuses…
Dans votre parcours, il y a bien sûr Les Nuits fauves. Pour ce film, vous avez travaillé avec Cyril Collard, l’auteur, pour que lui-même porte le roman à l’écran…
J.F. C’est son univers et son adaptation. Même si nous étions très proches, j’ai juste retravaillé avec lui la première version du scénario qu’il avait écrite. Vous avez par ailleurs souvent collaboré avec Nicole Garcia. Notamment sur L’Adversaire. Un cas
un peu particulier, puisqu’il s’agit d’une histoire vraie, ayant fait l’objet d’un travail à la fois littéraire et journalistique d’Emmanuel Carrère, que vous avez vous-même repris pour ce long-métrage de fiction…
J.F. L’Adversaire est une adaptation sans en être une. Évidemment, nous n’aurions pas pu faire ce film sans le livre, qui est la clé de l’histoire de Jean-Claude Romand. Mais ce qui est important, au-delà de la trame, c’est aussi la façon dont l’écrivain Emmanuel Carrère questionne sa légitimité. D’ailleurs, cela apparaît aussi de façon décalée dans son film récent, Ouistreham, d’après Florence Aubenas. Il développe un rapport à une forme d’éthique, à une morale. C’est quelque chose qui l’accompagne, mais qui n’est pas présent dans le film de Nicole Garcia. On aurait presque pu raconter cette histoire avec une simple enquête qu’on aurait faite nous-mêmes, mais la façon magistrale dont lui cisaille l’histoire de ce drame criminel nous a, bien sûr, beaucoup aidés.
On vous doit aussi l’adaptation de L’École de la chair de Yukio Mishima, mise en scène par Benoît Jacquot. Comment transpose-t-on une oeuvre d’une autre culture ?
J.F. Vous savez, Mishima est à la fois très japonais, mais aussi très influencé par la littérature occidentale. Cette histoire, une femme qui n’a plus 20 ans et qui tombe amoureuse d’une sorte de gigolo, peut se passer sous tous les soleils… J’ai pris des libertés tout en conservant la trame.
En février, vous avez reçu un césar pour votre formidable adaptation d’Illusions perdues de Balzac. Comment s’est déroulée la rencontre avec Xavier Giannoli ?
J.F. Xavier Giannoli portait ce projet en lui depuis longtemps pour des raisons très personnelles. C’est lui qui m’a proposé le film et, bien sûr, j’étais tout à fait d’accord. Au départ, on se demandait si on allait faire les deux livres, Splendeurs et misères des courtisanes et Illusions perdues. J’ai donc fait un relevé dramaturgique très fidèle des deux livres, en essayant de voir ce qui était saillant dans les scènes. Puis, finalement, l’idée d’adapter Splendeurs et misères des courtisanes a été abandonnée pour des raisons de personnages.
Le spectateur qui vient voir Illusions perdues veut entendre la langue de Balzac. Comment trouve-t-on l’équilibre entre les codes de l’écriture cinématographique et le ressenti de l’écriture balzacienne ?
J.F. En se faisant un peu confiance et en se disant que si cela n’est pas du Balzac, il aurait pu l’écrire [rires]. La voix off, par exemple, n’est pas du Balzac mais elle est balzacienne. Elle m’a semblé nécessaire car elle permet de rendre compte de la complexité littéraire et littérale de sa langue. Ce n’est pas une voix supérieure qui vous dit comment comprendre le film, c’est l’intervention d’un auteur qui exprime un point de vue sur la société, comme Balzac le fait avec les perpétuelles intrusions de sa narration par une parole privée, une opinion, une originalité ou un aphorisme.
D’ailleurs, aviez-vous visionné, voire analysé, d’autres adaptations de Balzac afin de comprendre ce qui fonctionnait ou non ?
J.F. Je ne fais pas comme ces gens qui se mettent à revoir des tas d’adaptations pour réaliser la leur… J’ai des souvenirs assez précis parce que j’ai vu beaucoup de films et il y a des éléments que je reprends semi-consciemment. Mais, non, je n’ai pas fait le moindre dossier cinématographique sur les adaptations de Balzac [rires] !