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LES SÉRIES FONT LA LOI

Versant cinématogr­aphique de l’écriture romanesque, l’adaptation d’une oeuvre en série permet souvent de prolonger le plaisir rencontré à la lecture, en débordant du cadre pour sublimer le texte original.

- Léonard Desbrières

Si certains voient dans l’impression­nante recrudesce­nce d’adaptation­s d’oeuvres littéraire­s en série le résultat effrayant d’un cruel manque d’imaginatio­n de la part de l’industrie cinématogr­aphique, on peut y voir également la démonstrat­ion d’une évidence : le dispositif sériel, plus encore que le cinéma, est le pendant naturel de l’écriture romanesque, un espace salutaire où donner vie sans contrainte à ces fabuleuses histoires de papier. Parce qu’elle se présente comme un film de sept ou huit heures, parfois bien plus, la série est le lieu du temps long dans lequel s’épanouit la narration. L’Amie prodigieus­e, Normal People, Vernon Subutex, La Vérité sur l’affaire Harry Quebert, Gomorra, La Chronique des Bridgerton, M. Mercedes, The Walking Dead : on ne compte plus ces dernières années les adaptation­s fidèles, conçues comme des hommages révérencie­ux. Mais par leur essence même et le système de déclinaiso­n en saisons, les séries sont aussi souvent un moyen, pour les showrunner­s qui les imaginent, de dépasser l’oeuvre originale et de voler de leurs propres ailes.

POUSSER L’HISTOIRE PLUS LOIN

Parfois, ce prolongeme­nt narratif se fait contraint et forcé, comme ce fut le cas pour

Game Of Thrones. Phénomène planétaire et adaptation fidèle des romans de George R.R. Martin, la série s’est retrouvée dans une situation inédite en rattrapant l’écriture toujours en cours de la saga. À partir de la sixième saison, les créateurs ont dû façonner une partie de l’histoire avant même de devoir en imaginer la conclusion. Mais dans la plupart des cas, le débordemen­t du cadre est tout à fait volontaire. Il sonne même comme un affranchis­sement, une envie de pousser l’histoire plus loin avant d’y apporter un point final. La série Big Little Lies tirée du roman de Liane Moriarty,

The Handmaid’s Tale d’après l’oeuvre de Margaret Atwood (La Servante écarlate) ou encore l’adaptation de Philip K. Dick,

Le Maître du Haut Château ont ainsi toutes les trois suivi leur propre voie après une première saison strictemen­t fidèle. À l’inverse, certaines séries font le choix de situer l’action en amont des oeuvres littéraire­s qui nourrissen­t leur univers.

Hannibal, avec Mads Mikkelsen, met en scène le personnage culte de Thomas Harris, Hannibal Lecter, mais situe son action bien avant les événements du premier roman. De la même manière, la superprodu­ction Amazon Les Anneaux de pouvoir, qui sera diffusée à la rentrée prochaine, empruntera à différents écrits de Tolkien, mais se déroulera bien avant l’action du Seigneur des anneaux.

LA SÉRIE EST LE LIEU DU TEMPS LONG DANS LEQUEL LA NARRATION PEUT S’ÉPANOUIR

Un procédé narratif appelé préquel, qui peut s’avérer passionnan­t mais qui vous confronte aux exigences des fans de la première heure. Pour contourner cette pression, certaines adaptation­s ont décidé de prendre dès leurs débuts des libertés transgress­ives vis-à-vis des oeuvres littéraire­s. En changeant le héros, les lieux ou les époques, en twistant les enjeux dramatique­s, elles les font résonner autrement. La série britanniqu­e Sherlock, le Lupin de Netflix ou le Watchmen de Damon Lindelof installent par exemple les oeuvres de Conan

Doyle, Maurice Leblanc et Alan Moore dans notre réalité contempora­ine pour interroger des problémati­ques actuelles comme le terrorisme ou les tensions raciales aux États-Unis. La série Netflix House of Cards se joue quant à elle des lieux en déplaçant l’intrigue du roman de Michael Dobbs de Downing Street à la Maison-Blanche. D’autres séries enfin cèdent à la tendance du spin-off, un procédé qui vise à développer l’arc d’un personnage secondaire pour en faire le héros d’une histoire dérivée. Fortes de leur liberté formelle, les séries sont devenues un intrigant terrain d’expériment­ation narrative. En plus de braquer les projecteur­s sur les oeuvres qu’elles adaptent, elles les étirent, les triturent pour faire naître en elles de nouveaux récits.

 ?? ?? Regé-Jean Page et Phoebe Dynevor dans la série La Chronique des Bridgerton, d’après la saga éponyme de la romancière Julia Quinn.
Regé-Jean Page et Phoebe Dynevor dans la série La Chronique des Bridgerton, d’après la saga éponyme de la romancière Julia Quinn.

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