LES SÉRIES FONT LA LOI
Versant cinématographique de l’écriture romanesque, l’adaptation d’une oeuvre en série permet souvent de prolonger le plaisir rencontré à la lecture, en débordant du cadre pour sublimer le texte original.
Si certains voient dans l’impressionnante recrudescence d’adaptations d’oeuvres littéraires en série le résultat effrayant d’un cruel manque d’imagination de la part de l’industrie cinématographique, on peut y voir également la démonstration d’une évidence : le dispositif sériel, plus encore que le cinéma, est le pendant naturel de l’écriture romanesque, un espace salutaire où donner vie sans contrainte à ces fabuleuses histoires de papier. Parce qu’elle se présente comme un film de sept ou huit heures, parfois bien plus, la série est le lieu du temps long dans lequel s’épanouit la narration. L’Amie prodigieuse, Normal People, Vernon Subutex, La Vérité sur l’affaire Harry Quebert, Gomorra, La Chronique des Bridgerton, M. Mercedes, The Walking Dead : on ne compte plus ces dernières années les adaptations fidèles, conçues comme des hommages révérencieux. Mais par leur essence même et le système de déclinaison en saisons, les séries sont aussi souvent un moyen, pour les showrunners qui les imaginent, de dépasser l’oeuvre originale et de voler de leurs propres ailes.
POUSSER L’HISTOIRE PLUS LOIN
Parfois, ce prolongement narratif se fait contraint et forcé, comme ce fut le cas pour
Game Of Thrones. Phénomène planétaire et adaptation fidèle des romans de George R.R. Martin, la série s’est retrouvée dans une situation inédite en rattrapant l’écriture toujours en cours de la saga. À partir de la sixième saison, les créateurs ont dû façonner une partie de l’histoire avant même de devoir en imaginer la conclusion. Mais dans la plupart des cas, le débordement du cadre est tout à fait volontaire. Il sonne même comme un affranchissement, une envie de pousser l’histoire plus loin avant d’y apporter un point final. La série Big Little Lies tirée du roman de Liane Moriarty,
The Handmaid’s Tale d’après l’oeuvre de Margaret Atwood (La Servante écarlate) ou encore l’adaptation de Philip K. Dick,
Le Maître du Haut Château ont ainsi toutes les trois suivi leur propre voie après une première saison strictement fidèle. À l’inverse, certaines séries font le choix de situer l’action en amont des oeuvres littéraires qui nourrissent leur univers.
Hannibal, avec Mads Mikkelsen, met en scène le personnage culte de Thomas Harris, Hannibal Lecter, mais situe son action bien avant les événements du premier roman. De la même manière, la superproduction Amazon Les Anneaux de pouvoir, qui sera diffusée à la rentrée prochaine, empruntera à différents écrits de Tolkien, mais se déroulera bien avant l’action du Seigneur des anneaux.
LA SÉRIE EST LE LIEU DU TEMPS LONG DANS LEQUEL LA NARRATION PEUT S’ÉPANOUIR
Un procédé narratif appelé préquel, qui peut s’avérer passionnant mais qui vous confronte aux exigences des fans de la première heure. Pour contourner cette pression, certaines adaptations ont décidé de prendre dès leurs débuts des libertés transgressives vis-à-vis des oeuvres littéraires. En changeant le héros, les lieux ou les époques, en twistant les enjeux dramatiques, elles les font résonner autrement. La série britannique Sherlock, le Lupin de Netflix ou le Watchmen de Damon Lindelof installent par exemple les oeuvres de Conan
Doyle, Maurice Leblanc et Alan Moore dans notre réalité contemporaine pour interroger des problématiques actuelles comme le terrorisme ou les tensions raciales aux États-Unis. La série Netflix House of Cards se joue quant à elle des lieux en déplaçant l’intrigue du roman de Michael Dobbs de Downing Street à la Maison-Blanche. D’autres séries enfin cèdent à la tendance du spin-off, un procédé qui vise à développer l’arc d’un personnage secondaire pour en faire le héros d’une histoire dérivée. Fortes de leur liberté formelle, les séries sont devenues un intrigant terrain d’expérimentation narrative. En plus de braquer les projecteurs sur les oeuvres qu’elles adaptent, elles les étirent, les triturent pour faire naître en elles de nouveaux récits.