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LA TENTATION DU TAPIS ROUGE

S’imaginant en nouveau Pagnol ou Cocteau, l’écrivain, grisé par un succès commercial en librairies, est parfois tenté d’adapter lui-même son roman. L’histoire du septième art aurait pourtant tendance à le mettre en garde contre cette fausse bonne idée.

- Laëtitia Favro

Quand certains rêvent de Goncourt, d’autres visent déjà l’Oscar. Ils sont nombreux, pourtant, à s’être cassé les dents sur l’adaptation de leurs écrits, l’écran exigeant des qualités qu’un auteur, même le meilleur, n’est pas tenu de posséder. D’innombrabl­es projets avortés aux oubliettes des box-offices, bien peu d’adaptation­s rencontren­t in fine leur public, et plus rares encore celles qui font date dans l’histoire du cinéma. Alors, quels motifs peuvent bien pousser un auteur à risquer de se prendre les pieds dans le tapis rouge ?

Adapter son roman lui permet d’abord de prévenir toute trahison vis-à-vis de son texte – de là à parler de mégalomani­e, il n’y a qu’un pas. Encore faut-il, quand il ne va pas lui-même jusqu’au bout du processus, trouver le réalisateu­r qui saura respecter sa vision. En 1950, Jean Cocteau signe pour Jean-Pierre Melville le scénario des Enfants terribles. Deux ans plus tôt, il avait adapté et réalisé sa pièce Les Parents terribles, interdite sous l’Occupation pour « immoralité ». Mais cette adaptation provoque un nouveau scandale : on ne filme pas du théâtre en plein néoréalism­e ! Échaudé, on comprend que Cocteau ait ensuite eu envie de partager le fardeau avec Melville. Plus récemment, en 2008, lors d’une résidence à l’abbaye royale de Fontevraud, cinq auteurs (François Bégaudeau, Joy Sorman, Pierre Alferi, Christine Montalbett­i et Stéphane Bouquet) ont écrit cinq nouvelles « cinématogr­aphiques » autour d’un personnage commun, Béatrice Merkel, nouvelles dont se sont ensuite emparés cinq réalisateu­rs (Patricia Mazuy, Noémie Lvovsky, Albert Serra, Caroline Champetier et Claire Denis). Avec pour but d’analyser la nature du travail d’adaptation, ce projet témoigne de la différence de regard que deux créateurs

QUAND STEPHEN KING DÉCIDE DE PORTER LUI-MÊME À L’ÉCRAN SA NOUVELLE « POIDS LOURDS », L’ÉCHEC COMMERCIAL SERA RETENTISSA­NT

peuvent poser sur un même texte et de la frontière pour le moins ténue existant entre les notions de fidélité et d’infidélité à une oeuvre.

LES AUTEURS DE BD, UNE EXCEPTION À LA RÈGLE

Pour un auteur, le travail d’adaptation peut se doubler d’un travail de relecture qui engendrera parfois des infidélité­s volontaire­s vis-à-vis de son texte. L’adaptation par Virginie Despentes de son roman Bye Bye Blondie, dans lequel l’histoire d’amour initialeme­nt hétérosexu­elle devient une histoire d’amour homosexuel­le, traduit une évolution manifeste de l’intrigue originelle. Liberté de changer de paradigme mais aussi d’époque : ainsi Frédéric Dard

transposer­a-t-il son roman Une gueule comme la mienne de la France occupée à celle de 1958, avec toutes les modificati­ons que suppose ce changement de décennie.

Quel que soit le degré de fidélité d’un auteur à son livre, le pourcentag­e faramineux des films (adaptés et réalisés par un écrivain-cinéaste amateur) ayant fait un four au box-office rend bienvenue, à de rares exceptions, la présence d’un réalisateu­r de métier.

Parmi ces exceptions, faisons un sort aux auteurs de bandes dessinées dont le langage graphique d’origine se rapproche davantage de l’action filmique qu’une série de mots alignés sur une page blanche. Les liens entre neuvième art et cinéma d’animation sont d’ailleurs très forts et témoignent de belles réussites, que l’on songe au Persépolis et au Poulet aux prunes de Marjane Satrapi, au Zombilléni­um d’Arthur de Pins, sans oublier les plus qu’évidentes adaptation­s des mangas de Leiji Matsumoto (Capitaine Albator) et Katsuhiro Otomo (Akira), parmi tant d’autres.

Si l’on revient à la cause des échecs précédemme­nt cités, la faute peut parfois en être rejetée sur des producteur­s qui, séduits par un succès commercial en librairies, auront trop vite fait de proposer à l’auteur de passer lui-même derrière la caméra. Et, s’imaginant en nouveau Pagnol, Guitry, Duras ou Kessel, l’auteur en question se pressera d’accepter, courant parfois à la catastroph­e. Stephen King en fait en 1985 la douloureus­e expérience.

Quand le producteur Dino De Laurentiis lui propose de porter lui-même à l’écran sa nouvelle Poids lourds, King accepte, caressant depuis quelques années le projet de passer derrière la caméra. Le tournage de ce qui s’intitulera Maximum Overdrive se soldera par un oeil crevé (celui du directeur de la photograph­ie), par le procès que ce dernier intente à l’apprenti réalisateu­r, et par un échec commercial retentissa­nt qui accentuera encore l’addiction de King à l’alcool et à la cocaïne. L’écrivain admettra par la suite que cette adaptation était incontesta­blement la plus mauvaise qui ait été faite de son oeuvre. Preuve, s’il en est, que l’on n’est pas toujours mieux servi par soi-même.

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En 1950, Jean Cocteau adapte lui-même son roman Les Enfants terribles, réalisé par Melville.

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