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JUSQU’AU BOUT DE SES RÊVES

- Laëtitia Favro

« MES ROMANS N’ONT PAS POUR BUT D’APPORTER DES RÉPONSES, DE PANSER DES BLESSURES OU MÊME DE FAIRE DU BIEN »

Avant de devenir la romancière la plus lue de France, elle a comme tant d’auteurs reçu des lettres de refus. Internet et la communauté de lecteurs créée autour de son blog l’ont aidée à s’accrocher à son rêve et finalement portée beaucoup plus loin que ce qu’elle espérait. Avec l’autrice d’Il nous restera ça, rembobinon­s le fil d’une success story pavée de best-sellers.

Le premier jour du reste de sa vie débute en 2015, quand son premier roman paraît en librairies, exauçant un voeu qui la chatouilla­it depuis l’enfance. L’histoire de Marie, une quadragéna­ire malheureus­e qui décide de tout quitter pour entamer une croisière autour du monde, séduit un lectorat dont l’engouement n’allait jamais diminuer au fil des parutions, annuelles depuis cette date où Virginie Grimaldi voit son nom apparaître en couverture d’un livre. Son nom, ou plutôt celui d’une grand-mère éprise de poésie, qui composait des vers sur des carnets dont sa petite-fille a hérité et qu’elle conserve comme des trésors. Lorsqu’on lui demandait « ce qu’elle voulait faire quand elle serait grande », la petite fille répondait invariable­ment « écrire des livres ». Une histoire de famille : son grand-père avait remporté un concours de nouvelles ; sa mère écrivait, elle aussi. Le premier texte qu’elle se souvient avoir fait lire ? Un coucher de soleil, sur huit pages tout de même, que son père qualifie d’« un peu long », un retour préfiguran­t les lettres de refus qui accompagne­nt l’envoi de son premier roman.

UN GOÛT PRONONCÉ POUR LE BONHEUR

Des refus que Virginie Grimaldi trouve aujourd’hui justifiés. Si sa destinée littéraire peut faire figure d’exemple pour nombre de plumitifs en herbe, il lui a d’abord fallu emprunter quelques détours avant de caracoler en tête des meilleures ventes, et parmi ces détours, un nouvel outil qui allait révolution­ner la relation auteur-lecteur : Internet. Au milieu des années 2000, Virginie Grimaldi crée un profil MySpace sur lequel elle publie des billets teintés d’humour sur sa vie quotidienn­e. Une éditrice passant par là l’encourage et lui donne l’impulsion nécessaire pour s’accrocher à son rêve. Au désir d’écrire s’ajoute bientôt le besoin d’être lue, un combo comblé par l’ouverture, en 2008, d’un blog sur lequel elle partage son amour de la littératur­e. Puis, un jour, une lectrice lui envoie un lien vers un appel à manuscrits, auquel elle répond : le premier pas vers la publicatio­n du Premier jour du reste de ma vie était franchi. « Un sentiment ambivalent m’a envahie quand j’ai découvert mon roman en librairie, précise-t-elle. De la joie bien sûr, car mon souhait d’enfance se réalisait, mais je n’étais pas du tout satisfaite de la qualité du texte. Pour moi, l’aventure s’arrêtait là, et je n’imaginais pas qu’elle me porterait beaucoup plus loin. » Beaucoup plus loin, jusqu’au podium des écrivains français les plus lus. Son deuxième roman (Tu comprendra­s quand tu seras plus grande, 2016), Virginie Grimaldi le publie chez Fayard, qui éditera également Le parfum du bonheur est plus fort sous la pluie (2017), Il est grand temps de rallumer les étoiles (2018), Quand nos souvenirs viendront danser (2019), Et que ne durent que les moments doux (2020), Les Possibles (2021) et Il nous restera ça (2022). Des best-sellers auxquels l’étiquette « feel good » est rapidement accolée, une étiquette dont l’écrivaine aimerait se détacher. « Mes romans n’ont pas pour but de véhiculer des messages, d’apporter des réponses, de panser des blessures ou même de faire du bien. À travers eux, je souhaite simplement offrir une parenthèse à mes lecteurs, et leur raconter une histoire », affirme-t-elle, ajoutant que « la littératur­e fait du bien en général, parce qu’elle nous élève et nous éveille, nous permet de nous évader ». Pour celle qui a eu à surmonter des épreuves difficiles, s’évader du quotidien

est l’une des vertus premières de l’écriture. « Je ne suis pas du tout d’accord avec l’idée selon laquelle tout ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort. Chaque drame nous laisse des cicatrices, mais j’ai la chance d’avoir un goût prononcé pour le bonheur qui, aux dires de mes lecteurs, rejaillit dans mes livres. » Une générosité qui la caractéris­e, selon sa première lectrice et éditrice, Alexandrin­e Duhin, qui souligne également l’exigence de son autrice tout au long de l’écriture : « Virginie est une personnali­té attachante, authentiqu­e, qui se laisse traverser par des émotions, qu’elle restitue ensuite dans ses textes. Son attention aux autres n’est jamais calculée : il suffit de l’observer lors des rencontres organisées avec ses lecteurs, dans les salons. Elle n’est pas du genre à griffonner une dédicace à la va-vite, mais prend le temps de parler avec chaque personne qui aura fait le déplacemen­t jusqu’à elle. » Un lien avec ses lecteurs que l’autrice juge « précieux et ambivalent » : « Adolescent­e, je me suis souvent sentie étrangère aux autres à cause de mon hypersensi­bilité. Me rendre compte que ce que je ressens, ce que je transpose dans l’écriture, peut être partagé par d’autres m’apporte beaucoup. » « Un livre peut avoir un impact incroyable, poursuit la principale intéressée. Il est arrivé que des personnes me disent que, grâce à l’un de mes romans, elles avaient changé de vie. » Des retours qui la réjouissen­t mais l’incitent également à garder une certaine distance : « Des personnes ont pu me demander d’écrire la suite de mes livres pour les aider à évaluer les choix qu’elles devaient faire dans leur propre existence. » Quant à la notoriété acquise au fil de ses romans, Virginie Grimaldi reconnaît qu’elle aurait davantage souhaité s’en protéger. « J’aurais préféré faire comme Elena Ferrante, que personne ne connaisse mon visage, mais à partir du moment où l’on a commencé à me prendre en photo pendant les rencontres, c’est devenu impossible. »

LA PETITE MAISON DANS LE JARDIN

Son quotidien d’écrivaine et de mère de famille en région bordelaise lui permet de garder les pieds sur terre et de dissocier vie publique et vie privée. Tributaire d’un « sens de l’organisati­on défaillant », elle n’a pas de routine à proprement parler, mais écrit par phases. « Pendant quelques mois, des histoires naissent dans ma tête, puis l’une d’elles s’impose et ne me quitte plus jusqu’à être couchée sur le papier. Cette phase d’écriture m’occupe à plein temps trois à quatre mois, pendant lesquels j’ai besoin d’être immergée au milieu de mes personnage­s, pour ne pas perdre le fil. »

Son bureau ? Une petite maison en bois dans son jardin, un « refuge » qu’elle rejoint tôt le matin et quitte tard dans la nuit. Si ses enfants viennent parfois « gratter à la porte », il lui arrive également d’être distraite par un écureuil ou un chevreuil. Son travail n’a rien, pour autant, d’un long fleuve tranquille : « Quand j’ouvre mon ordinateur pour entamer une nouvelle histoire, celle-ci se présente sous la forme d’une ébauche, d’un brouillard qui se lève parfois très tard. Pour Les Possibles, je n’ai su où j’allais qu’en rédigeant la deuxième partie du roman, et son dénouement m’est apparu la veille d’envoyer le manuscrit à mon éditrice. J’ai essayé d’élaborer des plans détaillés, d’écrire des biographie­s de mes personnage­s comme le font beaucoup d’auteurs, mais ça ne fonctionne pas pour moi. Je préfère me laisser porter et surprendre, ce qui est à la fois agréable et angoissant. »

Son inspiratio­n, Virginie Grimaldi la puise dans tout ce qui fait le sel de la vie quotidienn­e, dans des bribes d’existences et d’anecdotes qui se mêlent, s’assemblent, pour composer ses personnage­s. « Parfois,

certains thèmes occupent toute la place alors que je n’ai pas envie de les traiter. Ce fut le cas avec Les Possibles, qui parle de la perte de la mémoire, un sujet qui m’intimidait, mais je n’ai pas eu le choix. Au final, je suis heureuse de l’avoir évoqué, et d’écouter ce qui s’impose à moi plutôt que ma raison. » Parmi les sujets qui l’obsèdent, celui du temps qui passe imprègne chacune

« J’AURAIS PRÉFÉRÉ FAIRE COMME ELENA FERRANTE, QUE PERSONNE NE CONNAISSE MON VISAGE »

de ses intrigues, et notamment celle de Quand nos souvenirs viendront danser, pour laquelle elle s’est inspirée de l’histoire de ses grands-parents. « Depuis leur arrivée en France dans les années 1950, mes grands-parents ont vécu entourés du même voisinage : les enfants ont fait leurs premiers pas et fêté leurs anniversai­res ensemble, dans un esprit d’entraide et de joyeuse communauté. J’étais présente lorsqu’ils ont appris le décès d’une voisine : c’était comme perdre un membre de la famille. Cet événement m’a marquée au point de devenir matière romanesque. »

RECHERCHER UN PEU DE MAGIE

« Lire un Grimaldi, c’est s’installer en compagnie de ses personnage­s, que l’on considère vite comme des proches », commente un internaute, dont les mots reflètent un sentiment unanimemen­t partagé parmi les lecteurs de la première heure et chez les néophytes. Des personnage­s que leur créatrice a du mal à quitter quand vient le moment de clore un roman, tout comme son éditrice : « Ils sont aussi vivants pour nous lecteurs que pour Virginie lorsqu’elle raconte leurs trajectoir­es. Quand on referme ses romans, on a l’impression de les avoir réellement connus, d’avoir ri et pleuré avec eux. Elle a un talent pour nous faire vivre des émotions sans jamais nous imposer quoi que ce soit, mais en laissant à la sensibilit­é de chacun la place de s’exprimer. » Cette présence d’émotions contraires est l’une des caractéris­tiques qu’apprécie le plus son lectorat, comme en témoigne ce commentair­e, à propos des Possibles : « Un livre, comme souvent, qui mordille le coeur, titille nos émotions les plus simples mais les plus sincères. Comme un pansement sur nos genoux écorchés d’enfants grandis trop vite. La magie Grimaldi, c’est bien de ça qu’il s’agit. Faire naître du quotidien des romans à la fois poétiques, hilarants et inoubliabl­es. » Ou la marque d’un talent inné pour, comme le chantait Étienne Daho dans Le Premier jour (du reste de ta vie), « rechercher un peu de magie/Dans cette inertie morose ».

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