MARQUEPAGE
UNE VIE DÉFILÉE
La restitution de son histoire peut tenir à une question d’habitude, de rendez-vous réguliers. Dans le cas du narrateur de Dire, c’est « tous les lundis à neuf heures, tous les mercredis à quinze heures. Les mêmes règles. Les mêmes rituels ». Il s’exprime librement sur sa vie, sur le divan de sa psychanalyste parisienne – elle s’appelle Elsa. Comme Elsa Cayat, victime de la furie meurtrière dans les locaux de
Charlie Hebdo. C’est à celle-ci qu’Emmanuel Chaussade (remarqué avec le tétanisant
Elle, la mère) rend hommage dans son nouveau et bref roman. Cette clé, révélée très tard dans le récit, prend une dimension particulière dans l’évocation de la vie de ce héros, brutalisé dès son plus jeune âge, pour ne pas dire dès sa naissance.
Celui que sa mère appelle « Manou » est vu par les autres comme « différent » (« tout le monde le dit ») – serait-ce pour cette raison qu’avec un ami il enterre des oiseaux dans des boîtes de Caprice des Dieux, avec « des morceaux de tissu pour qu’ils n’aient pas froid » ? Une chose est sûre, n’en déplaise à son père : ce garçon androgyne veut devenir coûte que coûte couturier à Paris. Pour conjurer la violence (sexuelle, notamment) qu’il a connue ? Tant bien que mal, le petit provincial tentera sa chance à Paris et, après les Beaux-Arts, atteindra les sommets du milieu de la mode. Avec ses moments de grâce et ses désillusions. Loin de la variation chic balzacienne, Emmanuelle Chaussade s’attarde surtout, dans un style sec et précis, sur les corps meurtris, le trouble du désir, les trahisons ou le deuil. Comme dans la mode, n’utilise-t-on pas le mot « coudre » lorsqu’il s’agit de panser ses plaies ? ★★★☆☆ DIRE EMMANUEL CHAUSSADE 128 P., MERCURE DE FRANCE, 12 €. EN LIBRAIRIES LE 5 MAI.