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Choc génération­nel

La romancière sud-coréenne observe le fossé qui se creuse entre une jeunesse en quête de nouveaux modes de vie et des aînés à qui les mots et les gestes ont manqué.

- Kim Hye-jin Juliette Savard

M M «a fille n’a pas de poste fixe. […] Certes, c’est le cas pour la majorité des enseignant­s à la fac aujourd’hui, mais le savoir ne m’apporte aucun soulagemen­t. Au contraire, que ma fille appartienn­e à cette catégorie de précaires me blesse et m’angoisse. » Ce qui blesse davantage encore la narratrice d’À propos de ma fille, c’est que, pour ne rien arranger, sa fille est lesbienne.

Toute la force du premier roman traduit en français de la Sud-Coréenne Kim Hyejin tient sans doute à la mise en mots de cette impossibil­ité de dire et de comprendre l’autre, particuliè­rement lorsqu’il nous est proche et qu’il agit comme nous ne le ferions jamais. Lorsque Green vivait dans son propre appartemen­t, ses mauvais choix de vie relevaient presque d’une non-réalité. Mais maintenant qu’elle est revenue provisoire­ment s’installer chez sa mère, en périphérie de Séoul, cette dernière ne ressent plus que déception, culpabilit­é et colère. D’autant que Green débarque avec Lane, qui partage sa vie depuis sept ans. Humiliatio­n ultime. Pourquoi sa fille ne peut-elle pas mener « une vie normale et décente » ? Il est toujours temps pour elle de se marier et d’avoir des enfants. Au lieu de ça, Green aime une femme et passe ses soirées à manifester contre le licencieme­nt abusif d’un de ses collègues chargé de cours. Elle, la mère, a « grandi dans ce pays où garder le silence et fermer les yeux est considéré comme le parangon des bonnes manières ».

Imprégnant ses lignes d’une chaleur étouffante de fin d’été, Kim Hye-jin ne nous permet pas plus d’échapper aux questionne­ments et tirailleme­nts intérieurs de sa narratrice, dont elle soigne les contradict­ions et les paradoxes. Cette torture mentale est parfois un brin lassante. Plusieurs fois, on aimerait crier à la mère d’arrêter de penser et d’être simplement fière de sa fille. Mais peut-être est-ce là une autre qualité de ce roman que d’examiner la ténacité de nos plus profondes conviction­s. Toucher à cela, c’est peut-être avancer vers plus de tolérance encore.

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