LE MONDE SAUVÉ PAR LA BOMBE ?
Écrit en 1913 et publié l’année suivante, La Destruction libératrice est inspiré par les travaux de Frederick Soddy, découvreur de la désintégration de l’uranium. Wells imagine les bouleversements provoqués au
XXe siècle par l’énergie atomique. Il anticipe l’usage de l’atome à des fins militaires, sans deviner à quel point la bombe A sera dévastatrice… Dans son roman, la guerre mondiale avec usage de l’arme nucléaire n’a pas lieu en 1914 ni en 1945 mais en 1956, et prend la forme d’une « compression déroutante de la Première et de la Seconde Guerre », dixit Tristan Garcia, préfacier de cette édition. C’est une catastrophe, bien sûr, mais aussi une opportunité à saisir – elle est « libératrice » : par la force des choses, l’humanité est contrainte de mettre fin aux guerres, de renoncer aux nationalismes délétères et de s’unir sous l’égide d’un gouvernement mondial… La Destruction libératrice est moins un roman qu’une fresque civilisationnelle et politique qui sert à Wells pour dérouler le programme socialiste, adapté selon lui aux conditions techniques et scientifiques de notre temps : dirigisme mondial, planification, monnaie universelle, gestion centralisée du peuplement de la Terre, communication en anglais simplifié, nouveau calendrier… Est-on si loin, au fond, des fantasmes technocratiques d’un Jacques Attali ? À la fois kitsch et visionnaire, ce roman-essai est à lire ou relire comme un document sur les idées de Wells et sur son rêve, grandiose et flippant, d’un État-monde parfaitement rationnel.