L’air de la joie
Le sociologue poursuit son exploration du corps humain en étudiant le sourire sous toutes ses coutures. Un moyen d’expression qui en dit souvent très long. Passionnant.
L «e sourire n’est pas un sous-rire », nous apprend David Le Breton. Comme la plupart de nos gestes, attitudes et expressions corporelles, ce curieux froncement des muscles zygomatiques est en effet spécifique autant qu’il est « polysémique ». Comprenez que ce « fait de signification », ainsi que l’écrit Le Breton dans Sourire. Une anthropologie de l’énigmatique, peut exprimer à peu près tout et n’importe quoi : la bienveillance comme la menace, le bien-être comme la gêne, l’amour comme la haine, la déférence comme le mépris. Parfois les deux à la fois ! L’interprétation étant une affaire de circonstance ou, plus largement, de culture. Du « sourire malicieux » du Dalaï-Lama à « l’absence de sourire » de « l’enfant sage », l’ouvrage égrène ainsi l’inventaire furieusement poétique des mille et une manières de « hausser le triangle sousorbital » : « uniforme facial » obligé et douloureux aux mâchoires des stars en représentation (mais pas quand elles sont photographiées, le sourire s’effaçant alors derrière le masque du mépris), il peut exprimer le plaisir, être une technique de séduction efficace ou répondre à une convention sociale voire à une obligation politique comminatoires comme dans la Chine maoïste.
Mais il peut aussi ne s’adresser à personne, devenant alors l’expression de la plénitude d’un corps serein, soulagé, heureux, qui « sourit aux anges ». Le Breton sait de quoi il parle : voilà bientôt quarante ans qu’il s’intéresse au « corps humain dans tous ses états », qu’il soit en souffrance, au repos, au bout du rouleau ou en « roue libre ». Lui-même fait preuve d’une belle vitalité puisque, chercheur au laboratoire Cultures et Sociétés en Europe, ce presque septuagénaire compte à ce jour une cinquantaine d’ouvrages à son actif. C’est le rapport symbolique que nous entretenons avec notre corps qui intéresse au plus haut point David Le Breton : cette curieuse enveloppe à laquelle il nous arrive de faire prendre des risques inconsidérés, d’entretenir ou de solliciter à l’excès ou de tatouer et de piercer afin de complaire à la mode du moment. Au risque de faire sourire la galerie.