Panser son corps
L’écrivaine et professeure américaine raconte le passage à l’âge adulte, entre bouleversements et violences. Un témoignage poignant.
Jusqu’à l’âge de 11 ans, Melissa Febos usait de son corps comme d’un tremplin pour explorer le monde, la forêt de pins et le lac qui jouxtaient sa maison. Ses mains démesurées agrippaient fruits et brins d’herbe, ses jambes se tendaient sur les pédales de son vélo le long des pentes boisées. Ensuite, naturellement, le corps a changé. La mutation adolescente et ses conséquences, racontées dans Être fille, prennent une tournure brutale, distincte des bouleversements physiologiques vécus par tout être qui grandit. « Fille » étant le reflet renvoyé par chacune de ses confrontations aux autres, elle devient un corps entièrement sexualisé. Sa manière de s’appréhender est dès lors construite d’après eux, imposée, intériorisée, même après quelques expériences qui enseignent à quel point son propre désir est nié, écrasé, enterré par celui des hommes. Jusqu’à cette interrogation, salvatrice, à l’origine de l’ouvrage : « Que se passet-il quand nous ignorons les souhaits de notre corps durant des décennies ? » Investissant le souvenir avec précision, entre impressions sensorielles et distanciation critique, Être fille se veut d’abord une forme de retour sur soi, une analyse psychologique progressivement lumineuse, écrite dans une langue aussi précise que poétique. Revenant sur ses relations – le lien à la mère en particulier, fondateur, émouvant –, son expérience de travailleuse du sexe, ses errances qui la conduisent de l’autre côté de l’Atlantique…, l’autrice montre à quel point identifier et réaliser ses propre envies est une tâche ardue lorsque l’on a toujours vécu sans envisager de dire « non ».
Essai protéiforme, Être fille ne se réduit pas à une démarche introspective : s’y trouvent cités des entretiens sociologiques réalisés rigoureusement pour l’occasion, des références à des personnages mythologiques, des réflexions sur des films et auteurs qui viennent renforcer la critique de cette conception des filles au-delà d’un parcours solitaire et anodin… levant un à un, avec lucidité, les miroirs d’une société qui blesse et brouille la conscience féminine de soi.