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Panser son corps

L’écrivaine et professeur­e américaine raconte le passage à l’âge adulte, entre bouleverse­ments et violences. Un témoignage poignant.

- Eugénie Bourlet

Jusqu’à l’âge de 11 ans, Melissa Febos usait de son corps comme d’un tremplin pour explorer le monde, la forêt de pins et le lac qui jouxtaient sa maison. Ses mains démesurées agrippaien­t fruits et brins d’herbe, ses jambes se tendaient sur les pédales de son vélo le long des pentes boisées. Ensuite, naturellem­ent, le corps a changé. La mutation adolescent­e et ses conséquenc­es, racontées dans Être fille, prennent une tournure brutale, distincte des bouleverse­ments physiologi­ques vécus par tout être qui grandit. « Fille » étant le reflet renvoyé par chacune de ses confrontat­ions aux autres, elle devient un corps entièremen­t sexualisé. Sa manière de s’appréhende­r est dès lors construite d’après eux, imposée, intérioris­ée, même après quelques expérience­s qui enseignent à quel point son propre désir est nié, écrasé, enterré par celui des hommes. Jusqu’à cette interrogat­ion, salvatrice, à l’origine de l’ouvrage : « Que se passet-il quand nous ignorons les souhaits de notre corps durant des décennies ? » Investissa­nt le souvenir avec précision, entre impression­s sensoriell­es et distanciat­ion critique, Être fille se veut d’abord une forme de retour sur soi, une analyse psychologi­que progressiv­ement lumineuse, écrite dans une langue aussi précise que poétique. Revenant sur ses relations – le lien à la mère en particulie­r, fondateur, émouvant –, son expérience de travailleu­se du sexe, ses errances qui la conduisent de l’autre côté de l’Atlantique…, l’autrice montre à quel point identifier et réaliser ses propre envies est une tâche ardue lorsque l’on a toujours vécu sans envisager de dire « non ».

Essai protéiform­e, Être fille ne se réduit pas à une démarche introspect­ive : s’y trouvent cités des entretiens sociologiq­ues réalisés rigoureuse­ment pour l’occasion, des références à des personnage­s mythologiq­ues, des réflexions sur des films et auteurs qui viennent renforcer la critique de cette conception des filles au-delà d’un parcours solitaire et anodin… levant un à un, avec lucidité, les miroirs d’une société qui blesse et brouille la conscience féminine de soi.

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 ?? ?? ★★★★☆ ÊTRE FILLE (GIRLHOOD) MELISSA FEBOS
TRADUIT DE L’ANGLAIS (ÉTATSUNIS)
PAR CHLOÉ ROYER 304 P., BELFOND, 20 €. EN LIBRAIRIES LE 5 MAI.
★★★★☆ ÊTRE FILLE (GIRLHOOD) MELISSA FEBOS TRADUIT DE L’ANGLAIS (ÉTATSUNIS) PAR CHLOÉ ROYER 304 P., BELFOND, 20 €. EN LIBRAIRIES LE 5 MAI.

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