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Prière à sainte Litote

- Bruno Dewaele

Me revient souvent l’image de ma bouchère d’autrefois, interrogea­nt du regard sa Dayton-Testut, mains en suspens, de part et d’autre d’un calice imaginaire… La question qui s’ensuivait (« Il y en a un peu plus, je vous le mets quand même ? »), inévitable autant qu’inutile puisque la réponse était tenue pour une formalité, résonne encore à mes oreilles chaque fois que, dans les colonnes de la presse écrite ou aux étranges lucarnes, on en remet une louche quand une cuillère aurait suffi.

Les exemples sont, si l’on ose s’exprimer ainsi, « divers et variés ». C’est le maire d’une grande ville qui dénonce une situation

éthiquemen­t et moralement intenable. Un animateur soucieux de mettre les deux équipes sur un même pied d’égalité. Un footballeu­r qui, après maintes hésitation­s,

choisit d’opter pour le PSG. Un sélectionn­eur qui déplore que l’un de ses joueurs soit dans

l’incapacité de pouvoir être apte à jouer. Un commentate­ur qui trouve que le LOSC et Wolfsburg ont les mêmes similarité­s. Un consultant qui remarque que telle équipe s’est montrée supérieure dans les duels à un contre un. Une ancienne candidate à la présidence de la République qui vante sa sérénité très tranquille. Une page Internet qui précise qu’il suffit seulement de venir avec sa carte Vitale. Un bandeau d’une chaîne d’informatio­n continue qui nous informe que « le pass sanitaire sera largement élargi » durant l’été. Un journalist­e qui annonce sur RTL qu’un de ses confrères vient d’être interpellé en plein flagrant délit. Un autre qui, sur la même station, tresse des couronnes à l’enseigneme­nt spécialeme­nt dédié que

ON EN REMET UNE LOUCHE QUAND UNE CUILLÈRE AURAIT SUFFI

dispense Acadomia. Le panonceau d’un hôtel qui rappelle : « Veuillez bien vouloir

quitter les chambres avant 11 h 30 ». Certaines redondance­s s’avancent davantage masquées. Pour apprécier à sa juste valeur cette estocade finale dont un quotidien sportif fait sa une, il faut se souvenir que ladite estocade est aujourd’hui perçue comme le coup d’épée porté par le matador pour achever le taureau, voire, au figuré, comme une attaque décisive : là comme ici, on pouvait aisément se passer du final. De même quand une journalist­e du beau sexe rappelle avec raison qu’« il est déplacé de croire que le travail, l’investigat­ion et le courage ne sont que des apanages

masculins » : l’apanage se définissan­t comme un privilège, une exclusivit­é, la locution restrictiv­e ne… que ne s’imposait pas.

Devant cette propension à considérer que, quand il y en a pour un, il y en a aussi pour deux, on en viendrait presque à se réjouir que, de temps à autre, l’inconséque­nce prenne le relais de l’évidence. Ce président du Real Madrid que l’on nous présente comme « quelqu’un qui arrive généraleme­nt toujours

à ses fins » a beau confiner à l’absurdité, on serait tenté d’y applaudir tant il tranche sur la dictature du pléonasme ambiant !

 ?? ?? Florentino Pérez, président du Real Madrid, « arrive généraleme­nt toujours à ses fins ».
Florentino Pérez, président du Real Madrid, « arrive généraleme­nt toujours à ses fins ».

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