Le sang de Lucrèce
C’est bien la fonction de cette courte colonne : donner envie de lire des pages étonnantes, précieuses, inattendues. Et ce livre-là est très singulier. Politique, art, société, littérature : Le Suicide de Lucrèce. Éros et politique à la Renaissance mêle tout cela. Rappelons l’histoire : victime d’un viol, la vertueuse Lucrèce se suicide pour témoigner de son innocence et de sa chasteté. Mais ce drame prend une dimension politique quand Brutus décide de la venger, entraînant le peuple à se révolter contre les Tarquins (famille régnante dont est issu le violeur). Ainsi périt en 509 av. J.-C. la monarchie romaine qui laisse place à la République, née donc du sang de Lucrèce. C’est ce mythe et sa représentation au moment de la Renaissance italienne qu’étudie Henri de Riedmatten. Comment les artistes ont-ils figuré cette femme en train de mettre fin à ses jours ? Raphaël, Dürer, Cranach, Botticelli, le professeur d’histoire de l’art de Genève montre Lucrèce tantôt divinisée, christianisée, érotisée quand elle est représentée nue et même politiquement utilisée notamment par les Médicis à Florence. Une figure toujours ambiguë. Nul besoin de « s’y connaître » en art pour dévorer ce livre audacieux, se prendre au jeu et se passionner pour les métamorphoses de cette figure majeure de la culture occidentale.