Des bêtes sur le divan
S’appuyant sur les travaux de Freud, la philosophe Florence Burgat livre une analyse pertinente sur la psyché des animaux.
On se demandait jadis si les animaux avaient une âme ; il semble plus pertinent d’examiner comment décrire leur psyché, c’est-à-dire le fonctionnement de leur mémoire, de leurs traumas, de leurs rêves. Florence Burgat, philosophe des animaux, autrice d’un livre culte sur notre rapport à la viande (L’Humanité carnivore), observe pour commencer que « les animaux » en général, cela n’existe pas: leurs spécificités sont trop grandes, si grandes que les humains ont peu d’outils pour les comprendre. Elle souligne ensuite que Freud, au moment de transformer le mystère insondable de la psyché humaine en un appareil psychique défini par des fonctions descriptibles, n’a jamais pensé exclure les animaux. Au contraire, Freud écrit: « Le schéma d’un appareil psychique est valable aussi pour les animaux supérieurs qui ont avec l’homme une ressemblance psychique. » Pourtant, la voie ouverte par la psychanalyse s’est trouvée confrontée à la manière dont les sciences naturelles ont voulu se définir, laissant le terrain se diviser entre des approches réductionnistes, où l’animal se ramène à des fonctions élémentaires articulées à des besoins immédiats, et des approches sociales capables d’explorer et de reformuler, en matière de comportements observables chez des espèces particulières, l’intuition de Freud.
Mais loin de collecter des anecdotes sur les poissons ou sur les chimpanzés, L’Inconscient des animaux fouille les définitions de l’« instinct » (souvent conçu comme une sorte d’intelligence sans intelligence) et de la « pulsion » afin de mettre en valeur, par-delà la frontière entre humains et animaux, la multiplicité des formes de subjectivité, tout aussi multiples quand elles s’expliquent – comme les humains – que quand elles ne s’expliquent pas. ■
Surmédiatisée à son corps défendant lors de l’affaire StraussKahn, qu’elle a accusé de tentative de viol, Tristane Banon a suivi son chemin. Autrice de six romans et de quatre essais, parmi lesquels La Paix des sexes. Ce n’est pas la morale qui fait la justice (L’Observatoire, 2021). Elle y faisait l’éloge du combat féministe tout en dénonçant le risque de « victimocratie ».
Depuis, elle ferraille avec celles qu’elle nomme les néoféministes sans pour autant avoir lu leurs livres.
« Sur le terrain, les féministes sont beaucoup plus dans le réel. Elles ne sont ni universalistes ni néoféministes, elles s’occupent des femmes violentées, elles bossent… Et quand on leur parle des polémiques parisiennes, elles répondent : “On n’a pas le temps de s’en occuper” », explique-t-elle après avoir fait le tour de France pour défendre son essai.
Elle place son nouveau livre, Le Péril Dieu, sous le triple marrainage de Simone de Beauvoir, d’Élisabeth Badinter et de Gisèle Halimi… « Si vraiment il faut choisir un camp, je suis du côté de Badinter. Il y a de la mauvaise foi à ne pas essayer de comprendre ce qu’elle dit. Elle n’a pas 30 ans, sa façon de parler peut parfois dater », plaide-t-elle lorsqu’elle nous reçoit dans son appartement bobo de la banlieue ouest. À l’écrit, elle se présente comme « descendante des trois monothéismes ».
Sa mère est catholique, son père juif et son grand-père maternel iranien. « J’aurais pu décider que je serais élève de l’école catholique, juive ou musulmane… J’ai choisi d’être une femme libre pratiquante.»
À l’oral, elle précise que depuis longtemps, depuis le 11 septembre 2001 pour être précis, elle vit avec « une vraie crainte de la montée des intégrismes ». Mais précise qu’elle ne fait pas « le procès de la croyance mais de la religion. On n’en serait pas là s’il y avait eu des femmes dans les clergés des trois religions: beaucoup d’interprétations sont simplement prononcées par des hommes. Il nous faut plus de Delphine Horvilleur », ajoute-t-elle d’une voix pleine d’admiration.
PASSIONNÉE ET IMPLIQUÉE
Son ouvrage retrace de manière relativement exhaustive la genèse de la place des femmes dans les grandes religions du Livre. Notant par exemple que, dans le contexte du viie siècle, l’islam pouvait sembler progressiste puisqu’il accordait une demi-part d’héritage aux femmes, là où les autres monothéismes ne leur laissaient rien. Ou que les révolutionnaires français se sont montrés tout aussi misogynes que les textes religieux.
Mais très vite, le coup de griffe revient: « L’intersectionnalité part d’une belle idée: dire qu’on peut être victime de choses différentes et qu’on doit se tenir la main. Mais le problème, ce sont les cas où l’agresseur tombe dans l’une des cases victimaires. Les féministes intersectionnelles ont du mal à prendre des positions tranchées sur le voile et ne veulent surtout pas stigmatiser l’islam.»
On la sent passionnée, de mauvaise foi parfois peut-être, mais impliquée : faisant des conférences sur la laïcité dans des établissements scolaires où c’est loin d’aller de soi… Ou visitant les commissariats pour savoir comment se font les dépôts de plaintes. « L’imprescriptibilité des crimes sexuels comme au Canada, pourquoi pas », concède-t-elle alors qu’elle rentre tout juste de là-bas. « Mais mon combat, c’est de faciliter le dépôt de plainte immédiat. Parce que, sinon, ça ne sert à rien, il n’y a plus de preuves.»
Et on finit par se demander si cette implication vibrante ne va pas jusqu’à lui faire oublier son sillon littéraire. « Cela fait deux ans et demi que j’ai un roman à finir, il me reste quinze pages à écrire. Je l’ai arrêté pour écrire La Paix des sexes et, après, j’ai ressenti une urgence à écrire celui-ci… » ■