Qui « père » gagne
Mais que cache l’improbable succès, depuis plus de vingt ans, du manuel de développement psychologique et/ou financier Père riche, père pauvre de Robert Kiyosaki ?
L’âme humaine goûte les contes de fées. Qu’il est doux de savoir qu’une baguette, un génie embusqué, un ange qu’on dit gardien, peuvent surgir et muer nos courges en Bentley. Cette aspiration au miracle, de nombreux auteurs l’ont compris, qui inondent nos librairies d’ouvrages où tout semble évident, surtout l’impensable. Les éditeurs de « développement personnel » (croisement astucieux de philosophie de bar-tabac et de positivisme botoxé à la californienne) surabondent, car chaque coup de blues doit trouver sa médecine douce. Parmi ces bréviaires, Père riche, père pauvre de Robert Kiyosaki (aux éditions québécoises Un monde différent) occupe une place tutélaire. Après une sortie assez discrète, en 1997, ce livre a peu à peu gagné les têtes de listes de ventes dans le monde entier ; vingt-cinq ans après sa publication, il était encore, en décembre dernier, dans le haut du top 100 d’Amazon (toutes catégories confondues). Il faut dire qu’en un quart de siècle, 26 millions de personnes ont acheté ce volume (avant, sans doute, d’acquérir les nombreux décalques que Kiyosaki a pondus ensuite, à rythme régulier).
Ce que qu’explique son auteur, avec le rictus du docteur Fu Manchu, l’astuce du juge Ti, et la rage de Basam-Damdu? C’est tout simple: les pauvres sont des riches qui s’ignorent. Florilège : « La cause principale de la pauvreté ou des problèmes financiers sont la peur et l’ignorance », ou encore « l’intelligence résout les problèmes et génère de l’argent »… Bref, soyez moins bêtes et vous serez les rois du char fleuri ! Joli programme, non ?
Dans son admirable Renvoi d’ascenseur (La Table ronde, 2003), Jean-Marc Parisis divisait l’humanité en deux camps: les porcs et les humiliés. Robert Kiyosaki ne dit pas autre chose. Qu’on nous permette de préférer Parisis : ce qu’on perd en pactole, on le gagne en style. ■