3 QUESTIONS À... BAYA KASMI
Avec Youssef Salem a du succès, la réalisatrice signe une comédie autour d’un auteur d’origine maghrébine, dont les relations avec sa famille vont se compliquer suite à la parution d’un roman très vaguement autographique.
Le héros de Youssef a du succès est un écrivain. Pour quelle raison ? Baya Kasmi. C’est une façon de parler de mon expérience d’autrice en la décalant. Un auteur est seul, tellement seul qu’il ne mesure pas toutes les conséquences de ce qu’il écrit. C’est ce qui arrive à Youssef. Philip Roth est un peu à l’origine du sujet. Dans Zuckerman délivré, le héros est un écrivain juif que sa famille, se sentant malmenée, accuse d’écrire des livres antisémites. En France, c’est à peu près pareil pour des personnages issus de l’immigration en l’occurrence, ici, l’immigration algérienne. Le héros du livre de Youssef et Youssef lui-même deviennent tous les enfants d’Algériens en France et non un simple personnage romanesque et un simple romancier. Je suis fasciné par les écrivains et j’avais aussi envie d’observer ce milieu. Olivier Adam, avec qui je travaille sur l’adaptation de Rose Royal, de Nicolas Mathieu, m’a raconté plein d’anecdotes. C’est d’ailleurs Nicolas qui m’a cité la réflexion, reprise par Roth, de Czeslaw Milosz, un poète polonais : « Quand un écrivain naît dans une famille, sa famille est foutue. »
Le livre de Youssef est une vraiefausse autofiction. Est-ce un genre qui vous plaît?
B.K. Ce qui me plaît, c’est de partir d’éléments intimes et de les traiter d’une façon un peu délirante. La comédie est une forme d’esprit que je cultive. La vie est tragicomique et en rire est souvent une façon de ne pas couler. N’ayant jamais fait d’école, j’éprouve toujours un sentiment d’imposture. Comme Youssef, j’ai envie qu’on me dise que je suis autrice. Et quand le public rit dans une salle, je sais que c’est bien. On peut le vérifier directement. Avoir écrit Le Nom des gens, avec Michel [Leclerc, également coscénariste du film], m’a libérée. Youssef a besoin, comme moi, d’un peu de reconnaissance.
Êtes-vous consciente de la part de vous-même que vous mettez dans vos scénarios ?
B.K. C’est impossible de faire autrement que d’écrire sur ce qui me touche. Je ne sais pas trop pourquoi un sujet m’intéresse. C’est en travaillant que les choses s’éclairent. J’aime trouver des décalages : le film est un jeu de poupée russe autour de l’autobiographie. Comment la réalité inspire la fiction et comment la fiction s’incruste dans la réalité. J’essaie de faire en sorte qu’il y ait un jeu pour le spectateur. Comme l’histoire entre Romain Gary et Émile Ajar.