Que pensaient les écrivains allemands en février 1933?
Avec son ouvrage, le journaliste Uwe Wittstock signe une remarquable mise en scène au bord du gouffre.
L’Histoire a le vilain défaut de rendre rétrospectivement évident le déroulement des événements. On sait pourtant que cela n’est pas si simple. Tout l’intérêt de Février 33. L’hiver de la littérature, d’Uwe Wittstock, est de revenir sur le tragique hiver allemand de 1933, celui de la nomination de Hitler comme chancelier – dans le strict respect de la loi, il faut le rappeler – jusqu’à son obtention, tout aussi légale, des pleins pouvoirs, en feignant d’ignorer la suite des événements. Mieux, le journaliste allemand rend compte du point de vue, des interrogations et des hésitations des intellectuels et des artistes au moment de ce grand basculement. Soit, depuis la « dernière danse de la république », le 28 janvier, jusqu’au 15 mars, jour de la rafle des artistes, à Berlin. Wittstock est un remarquable metteur en scène, qui n’est pas sans rappeler le Hans Magnus Enzensberger de Hammerstein ou l’Intransigeance. Sous nos yeux se débattent, pour certains, tel des pantins, entre incrédulité et pessimisme lucide, Heinrich, Klaus et Erika Mann, Ernst Toller, Alfred Döblin, Peter Lorre, Bertolt Brecht, Manès Sperber… tandis que le maréchal Hindenburg, Goebbels, les SA, de simples policiers et matons, accouchent au forceps du nouveau régime. Pour détruire une démocratie, le temps des congés annuels suffit, rappelle l’auteur. Aussi, ce serait un contresens de réduire Février 33 à un récit historique, aussi brillamment ficelé soit-il. Il s’agit autant d’une leçon d’humilité sur la difficulté d’une analyse à chaud, donnée par un moraliste à qui on ne la fait pas, et, qui sait – d’un roman d’anticipation ? ■