GOODBYE LÉNINE
Dans un ample roman, le président de l’académie Goncourt DIDIER DECOIN nous promène, de la Russie à la Tunisie d’il y a un siècle.
Bizerte, 1921. On fait parfois d’étonnantes découvertes dans la lagune tunisienne. Tarik, docker et grand nageur, tombe un jour sur un navire de guerre étranger qui n’a rien à faire là. Que peut abriter ce vaisseau fantôme ? Pour le comprendre, il faut remonter à 1917, en Russie. Aristocrate ukrainienne vénérant Tchekhov, Yelena Maksimovna Mannenkhova a grandi auprès de son père à Zagoskine, un domaine beau comme le monde arcadien décrit par Nabokov dans Autres rivages. La révolution a mis fin à cette vie féerique – d’autant que le coriace Cosaque Nikola Bissenko s’est promis de trancher la tête de la jeune femme. Avec sa tante Sofia et d’autres Russes blancs, Yelena fuit les massacres orchestrés par les bolcheviks.
Elle arrive en Crimée, où elle embarque à Sébastopol à bord d’un cuirassé survivant de la flotte impériale. Et vogue la galère…
On aura compris ce qui se passe : dès qu’il l’aperçoit, Tarik s’éprend de cette fille évanescente vêtue d’une robe blanche aux manches ballon. Parviendra-t-il à la sauver ? Nous n’en révélerons pas plus. Ce que l’on peut dire, en revanche, c’est que Le Nageur de Bizerte rappelle La Femme de chambre du Titanic, publié en 1991, où Didier Decoin racontait déjà une histoire d’amour impossible mettant en scène un docker – preuve que ce thème l’inspire. Rappelons que Decoin n’est pas un romancier comme les autres : il est également président du prix Goncourt. Quelle vision de la littérature contemporaine fait-il passer dans Le Nageur de Bizerte ? On n’est pas ici chez Christine Angot : Decoin nous transporte dans une autre époque, campe de vrais personnages et renoue avec un souffle romanesque à l’ancienne. Certains trouveront cette esthétique vieillotte. Les nostalgiques de Pasternak, à l’inverse, seront ravis de lire un bon roman russe en français. Les communistes qui n’ont pas fait leur autocritique, enfin, trouveront ici matière à réflexion…