Les voix de la nature
Deux autrices aux styles différents pour traiter d’un même sujet d’actualité : notre environnement et la manière dont nous choisissons de le préserver, ou non.
É «crire est fait pour ça. Pour dire les choses effroyables qui ne peuvent ni ne doivent être dites à haute voix », lit-on dans L’Instruction. Racisme, addictions, dictature de la performance: Isabelle Sorente n’a jamais reculé devant l’effroyable. Ce dernier livre est né d’un burn-out en 2009, qui l’a amenée à suivre des séances de méditation, et à connaître cette « ancienne tradition bouddhiste » qui « recommande […] de se mettre à la place d’un animal conduit à l’abattoir ». Pour son « instruction », l’écrivaine se fit donc ouvrir les portes d’une structure de production porcine (30000 porcs par an). Ici, même la mise au monde d’un animal est une horreur, et la suite mène vers sa fin en six mois: tri, post-sevrage, élevage, gavage, abattage, mise à mort. C’est cette « destruction méthodique de tout instinct de vie » que retrace Sorente. Intruse et écrivaine, elle raconte le système sans dénoncer ni juger les travailleurs. Cette immersion avait servi de base documentaire à son roman 180 jours (2013). L’Instruction en est une version augmentée, qui vaut pour la force spirituelle avec laquelle l’autrice retrace la gestation littéraire de son sujet. Chez Hélène Zimmer, le théâtre des opérations est à ciel ouvert. C’est la « Wild French Réserve », un lieu fictif, « une promesse de gestion efficace et résiliente de la nature » où des « experts du monde sauvage » exploitent légalement le coeur d’un parc naturel. Mais le projet de la construction d’un mur, voulu par l’État, va transformer les lieux en ZAD. Dans la réserve met en scène Arnaud, un marginal qui a acquis un bout de terrain mitoyen, frappé par un avis d’expulsion à cause du mur. Il décide alors de se cacher dans « son » territoire, et de revenir à l’état sauvage. Il est pourchassé par des habitants. Deux autres personnages interviennent : Nassim, un journaliste Web acquis à la cause, et Éva-Lou, recrutée comme « éco-sentinelle » par la WFR, dont la sécurité est gérée par une société privée. Après avoir lancé ces trois personnages sur zone, Hélène Zimmer fait feu. Un coup de fusil a en effet été tiré. Qui est la cible : un animal, un homme? Employant une langue tendrement radicale, ce troisième roman de la réalisatrice et écrivaine est une battue littéraire. ■