L’assimilation artificielle
Invitée dans la demeure familiale de son petit ami, une femme noire vacille. Un premier roman vif, poétique et absolument admirable sur le racisme outre-Manche.
Ne vous fiez pas aux apparences. Dès le premier chapitre d’Assemblée intitulé « Tout va bien », la narratrice est roulée en boule dans les toilettes, abattue par les commentaires venimeux de ses collègues dans la finance. Si elle a eu une promotion, elle ne le doit qu’à sa couleur de peau, affirme l’un d’eux. Regardez plutôt les gestes, les attitudes, les regards. Cet homme qui engouffre un morceau de viande pour ponctuer son accusation. L’héroïne est en train de se faire manger toute crue.
Natasha Brown nous plonge par fragments dans le courant de pensées de son personnage. Son texte se déploie par flashs : scènes de bureau, de racisme ordinaire (« Non, mais à la base. Tes parents, ils viennent d’où. D’Afrique, non ? »), souvenirs d’enfance, le jour où elle s’est acheté un grand appartement à Londres, la visite médicale où une doctoresse lui annonce qu’elle est atteinte d’une tumeur. Ces flashs sont comme autant de syncopes qui viennent perturber le quotidien de cette femme noire et britannique qui a tout réussi. Elle sait même oublier qu’elle a un cancer pour se focaliser sur son salaire, sa chaise de bureau à 2 000 dollars, ses cartes de visite.
« C’est une histoire. Avec des défis. Avec du labeur, de l’huile de coude, des manches retroussées […]. On se hisse. On surmonte, on transcende, et cetera. Vous connaissez la chanson », explique-t-elle. Cette litanie de l’ascenseur social que le court roman va faire voler en éclats, avec une prose poétique d’une précision de scalpel. Que voit-on quand on fait une incise dans ce beau tableau? Des Britanniques qui ont enfoui, si ce n’est détruit avec l’« Operation Legacy », leur passé colonial tout en continuant de jouir des richesses mal acquises. Et les privilèges des grandes familles comme celle de son petit ami qui l’invite pour le week-end.
Le huis clos anxiogène fait penser au film Get Out. Mais aucun sang ne sera versé. Il n’y a que la blessure profonde d’une femme désabusée parce qu’elle sera toujours l’autre, l’invitée. « Née ici, de parents nés ici, jamais vécu ailleurs – pourtant jamais d’ici. Leur culture devient une parodie sur mon corps à moi. » ■