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Chroniques d’une fin

Décidé à en finir avec la vie, un professeur de philosophi­e à Madrid tient le journal de ses derniers jours. Mordant et stoïque Oiseaux de passage.

- Gladys Marivat

L’ambiance de Noël et les bonnes résolution­s de l’année 2023 oubliées, qu’il est bon de déprimer avec Fernando Aramburu. L’auteur, né à Saint-Sébastien en 1959, signe en cette rentrée un roman-fleuve cynique et drolatique, Oiseaux de passage. Son narrateur, Toni, est un professeur de philosophi­e madrilène.

Divorcé, père d’un jeune homme, Nikita, qui vit dans un squat et ne cherche pas à travailler, il occupe ses journées à promener son chien, Pepa. Au coeur de l’été, il prend la décision de se suicider dans un an. « Pourquoi un an ? Aucune idée. Mais c’est ma dernière limite », avoue-t-il. D’un calme à toute épreuve – mais il s’est de toute façon arrangé pour que son existence soit sans aspérité aucune –, Toni tient le journal de ses derniers jours, au rythme d’un chapitre par mois. Le néant de son quotidien, entre visite à sa mère atteinte d’Alzheimer et discussion­s avec son seul ami, Pattarsoui­lle, alterne avec les souvenirs d’une existence marquée par le manque. D’amour, d’intérêt pour son travail, de sens. Sa mère, son père, son frère, sa femme, son fils: personne ne l’a jamais aimé, dit-il, et il n’est pas sûr d’avoir aimé ou su aimer quiconque.

Difficile de ne pas sourire en lisant ces lignes fatalistes résumant une histoire faite de petits drames sans gravité qui prennent une dimension exacerbée quand on décide de les regarder sous un jour sombre. Il a vu sa mère cracher dans la soupe de son père en cachette? C’est pour cela qu’il a choisi une femme qui le hait. Ses parents ne surveillai­ent que son frère et l’ont laissé se jeter dans la Seine lors d’un voyage en France? C’est pour cela qu’il n’a pas pu accorder de l’importance à sa personne.

Il y a quelque chose d’un Houellebec­q dans cette lamentatio­n sur soi doublée d’un regard désabusé sur le monde. Si Toni abhorre « les conversati­ons improvisée­s en salle des professeur­s » qui lui donnent « des nausées », il ne se considère pas comme un misanthrop­e. On voudrait lui donner raison tant il y a dans l’incapacité de Toni à exprimer ses sentiments, à trouver sa place dans son foyer et à s’affirmer au travail, une perte de repères qui semble toucher beaucoup d’hommes aujourd’hui. Espérons que les amours de jeunesse et les livres de sa bibliothèq­ue qu’il a entrepris de disperser sauront lui redonner goût à la vie. ■

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OISEAUX DE PASSAGE (LOS VENCEJOS)
FERNANDO ARAMBURU TRADUIT DE L’ESPAGNOL (ESPAGNE) PAR CLAUDE BLETON, 624 P., ACTES SUD, 26 €
★★★★☆ OISEAUX DE PASSAGE (LOS VENCEJOS) FERNANDO ARAMBURU TRADUIT DE L’ESPAGNOL (ESPAGNE) PAR CLAUDE BLETON, 624 P., ACTES SUD, 26 €

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