Des nouvelles du front
Professeur à l’IEP de Paris et depuis une quinzaine d’années à l’origine d’essais philosophiques, l’auteur s’interroge sur la notion de guerre et les réalités qu’elle recouvre. Un brillant essai.
En écho à États de violence. Essai sur la fin de la guerre (2006), où il soutenait que la guerre classique avait laissé la place à des « états de violence », Pourquoi la guerre ? s’interroge sur ce que l’on présente comme le retour en force de celle-ci depuis l’« opération spéciale » ordonnée par Vladimir Poutine en février 2022. Frédéric Gros y réaffirme qu’on ne peut pas comprendre la guerre (parfois qualifiée d’hybride) à partir des représentations qui ont prévalu au xxe siècle. La guerre froide a ainsi laissé la place à la guerre « globale » ou « diffuse » (2011-2021), impliquant des interventions et des guerres de « chaotisation » menées pour elles-mêmes (Irak, Syrie, Libye, Yemen) sur fond de destruction des États, de résurgence des fondamentalismes religieux et de « prise en otage des sociétés civiles […] excavant le présent de toutes ses possibilités ». Le cas du conflit russoukrainien, présenté comme le retour de la guerre traditionnelle en Europe avec ses armées, son front, ses tranchées, paraît déroger à cette évolution.
LE RISQUE DE GUERRE TOTALE
Les analyses conduites dans ce brillant essai invitent à plus de prudence. Celle de guerre juste permet de rappeler le danger qu’il y a à présenter l’affaire ukrainienne au prisme uniquement moral. C’est prendre le risque de la voir dégénérer en guerre totale faute de pouvoir trouver une porte de sortie autre que l’annihilation du belligérant diabolisé. Le noeud étroit qui s’exprime dans la double formule qui veut que l’État fasse la guerre et que la guerre fasse l’État permet d’envisager que, pour la première fois, l’Europe pourrait, en se découvrant un ennemi avec la question ukrainienne, se former en « communauté proprement politique » (à vrai dire, rien n’est moins sûr). L’auteur applique ainsi à la situation en Ukraine l’analyse célèbre du Léviathan où Hobbes dégage trois causes de conflit entre les hommes : la cupidité (« la volonté russe de contrôler le grenier de l’Europe »), la peur (l’adhésion de l’Ukraine à l’Otan) et la vanité (l’Ukraine serait « le dernier bastion qui permet à la Russie de se croire un empire »). Reste que ces guerres en enveloppent d’autres, dont celles décidées pour l’intérêt de ceux qui les font ■