Un éditeur qui ne bulle pas
Après avoir créé les éditions Soleil, l’ancien président du Rugby Club Toulonnais Mourad Boudejellal lance une nouvelle structure spécialisée dans la bande dessinée, Oxymore. Une maison pleine de style.
Fondateur en 1989 des éditions Soleil, championnes de la catégorie des bandes dessinées populaires, Mourad Boudjellal aime les formules du tac au tac. « Je ne fais pas de différence entre mes rêves et mes ambitions », affirmait-il dans son autobiographie Ma mauvaise réputation (2015). D’après l’éditrice Clotilde Vu qu’il embaucha en 2002, il dit souvent: « Je préfère partager plus de beaucoup que peu de rien. » Justement, cet entrepreneur-né parti de presque rien a hissé sa maison toulonnaise parmi les premières du secteur à la fin des années 1990. Métamorphosé dirigeant sportif fort en gueule, il achète le Rugby Club Toulonnais (RCT) puis révolutionne à partir de 2006 le milieu de l’Ovalie, décrochant plusieurs titres de champion de France et d’Europe. Délogé du RCT, il devient actionnaire majoritaire du Hyères Football Club. L’an dernier, il crée Mourad Éditions, au sein du groupe Editis. Un seul titre sortit : la fiction politique Élyzée contant l’arrivée d’Éric Zemmour à la magistrature suprême. Et il vient d’annoncer, au Festival de la BD d’Angoulême, la naissance des éditions Oxymore (groupe Madrigall). Cinq albums paraîtront fin août, quarante sont programmés pour 2024. Oxymore ? Une figure de style qui renvoie au titre d’un article du Figaro littéraire de janvier 2006 à propos de son association avec Antoine Gallimard réputée pour ses BD d’auteurs : « Futuropolis : le mariage réussi de la carpe et du lapin ».
LE GOÛT SÛR DE LA NOSTALGIE
Fils d’immigrés algériens né en 1960 à Ollioules (Var), Mourad Boudjellal a grandi à Toulon dans le « petit Chicago », un quartier mal famé. Son père est conducteur de camions poubelles, sa mère concierge, le ménage a quatre enfants. Mourad se nourrit des fascicules BD de kiosques et de gares, notamment italiens. Après avoir ouvert la librairie Bédule, chinant à 4 heures du matin quand les vendeurs déballent sur les marchés, il crée les éditions du Soleil. Surfant sur le goût de la nostalgie, il republie d’abord d’anciennes BD et connaît un succès éclair en rééditant Rahan, fils des âges farouches. « Il a ensuite porté à son apogée, d’un point de vue commercial, l’heroic fantasy et découvert un vivier d’auteurs aixois parmi lesquels Arleston et Tarquin, qui ont fait les belles heures de Soleil », se rappelle Clotilde Vu, qui a rejoint Oxymore. Sébastien Gnaedig, directeur éditorial de Futuropolis, garde le souvenir de son énergie, de son culot et d’une formule du dessinateur Yslaire, un féru d’astrologie chinoise: « Tu sais, Mourad, il est rat, et le rat, il est le premier à aller vers Bouddah. » C’est normal, ses parents avaient choisi un prénom prémonitoire : Mourad en arabe signifie « Désiré de Dieu ». ■
Politiquement, les humoristes se classent en deux catégories: sans étiquette (à la Anne Roumanoff ), ou de gauche (Charline Vanhoenacker, parmi tant d’autres). Enfin, ça, c’était avant. Une troisième case est apparue : les humoristes de droite, actuellement représentée par un spécimen unique, nommé Gaspard Proust. Il n’est d’ailleurs pas spécialement de droite ; simplement, son fonds de commerce consiste à dézinguer les totems de la gauche et des médias, comme la crise au Proche-Orient, le réchauffement climatique, les ZAD, l’écriture inclusive, le football féminin ou la guerre en Ukraine. Il publie aujourd’hui Mea culpa, une anthologie de chroniques pour la presse écrite et la radio, mâtinées d’extraits de spectacles, qui font salle comble. Le genre est difficile : une vanne qui fonctionne très bien dans le feu de l’action peut tomber à plat, une fois sortie du contexte. Dans l’ensemble, au-delà de tout jugement politique, force est néanmoins de constater que les siennes se conservent bien; certaines sont même carrément encore plus drôles à froid ! Question d’image, de tempo. Et si ses papiers sont un peu écrits à la va-comme-je-te-pousse, ses répliques, elles, sont souvent géniales. Jean-Jacques Bourdin ? « Une sorte de Patrick Cohen ayant atteint l’âge adulte ». Raphaël Glucksmann? « Le G.I. Joe philosophe ». Christiane Taubira ? « Notre Rabelais tropical ». Mediapart ? « Le Closer d’extrême gauche ». Anne Hidalgo ? « Notre baronne Haussmann de la fulgurance végétale et du compas en mousse ». Il tape toujours du même côté, dira-t-on. C’est vrai, mais c’est un côté dont ne s’occupent généralement pas ses confrères: il fallait donc bien que quelqu’un s’y colle, non ? ■
O «n est hors du monde, tout en ayant des gens du monde entier », disent-ils en choeur. Bien dans leur antre et dans leur ville, Louise et Louis Paturaud le sont aussi dans leur vie, qu’ils partagent d’ailleurs depuis des années. C’est comme cela qu’est née La Librairie Sauvage, une histoire qui ressemble tant à un roman qu’elle est devenue un endroit qui en propose et en vend.
Les deux amoureux se sont rencontrés durant leurs années universitaires. Lui est devenu professeur, elle s’est tournée vers le domaine syndical. En 2020, juste avant le deuxième confinement en France, ils prennent la direction de l’Amérique du Sud, pour faire du volontariat dans des exploitations agricoles. De retour à la fin du printemps suivant, celui de la réouverture générale dans l’Hexagone, ils mûrissent ce rêve : travailler ensemble à Chamonix, ville où Louise avait déjà des attaches familiales. Dans les semaines suivantes, ils prospectent les rarissimes locaux adaptés et disponibles. C’est-à-dire… deux. Coup de coeur pour le second : « un ancien bâtiment, assez grand, tout en granit du Mont-Blanc. Avec, dans la salle principale, une fresque des années 1920 représentant les vallées du coin, qui a été préservée depuis par la mairie et par chaque occupant du lieu ». Il fallait emprunter et garantir pour financer le projet. Ce sera fait grâce au réseau associatif Initiative France, qui accompagne des projets par des prêts sur l’honneur, ainsi que des aides de la Région, de la communauté de communes et du Centre national du livre. En avril 2022, ils signent et entrent chez eux. Ils ont dessiné eux-mêmes le mobilier, avec un architecte.
ERNAUX ET TESSON EN ANGLAIS
Jusqu’alors, Chamonix comptait deux librairies: la librairie Landru (ouverte en 1930) et la Maison de la presse. Ses 12000 habitants environ (agglomération comprise) en comptent une troisième depuis le 23 juillet, date à laquelle les époux Paturaud (ils se sont mariés ce même été !) ont ouvert La Librairie Sauvage. « Étant donné la surface qu’on avait, on tenait à être une librairie généraliste, mais aussi à proposer beaucoup de références », plaident-ils. Venant « tous les deux des sciences humaines », les époux revendiquent « se faire un peu plaisir dans ce rayon, avec des titres de philo ou d’histoire pas forcément attendus ici ». Les deux propriétaires emploient une libraire pour le rayon jeunesse. Et l’endroit est aussi un lieu d’exposition depuis ce mois de janvier : le sous-sol est réservé à ces événements et aux matériels de beaux-arts.
Nouveaux pourvoyeurs de livres dans la ville, ils sont conscients qu’ici vivent les « locaux », mais aussi « des gens qui y ont des résidences secondaires », et bien sûr des touristes. Une « clientèle internationale »
pour laquelle ils ont tenu à disposer d’un rayon avec des ouvrages « en VO » anglaise. « Et pas seulement les dernières parutions,
soulignent-ils, on a aussi des classiques français en langue anglaise – Baudelaire, Dumas, etc. Nous avons aussi Annie Ernaux ou Sylvain Tesson en anglais. » Voilà comment, pour eux, habiter la littérature à Chamonix, c’est être hors du monde, avec des gens du monde entier. ■
* 178, avenue Michel-Croz, 74400 Chamonix-MontBlanc. Ouvert du mardi au samedi de 10 h à 12 h 30/14 h à 19 h. Le dimanche de 13 h à 18 h. lalibrairiesauvage.com