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MAUVAIS GOÛT Haro sur Harry

L’autobiogra­phie à succès du Prince Harry ? Un pavé sans intérêt montrant surtout les bienfaits (ou méfaits ?) de l’écriture dite « collaborat­ive ». Un Suppléant peut en cacher un autre.

- Nicolas d’Estienne d’Orves

Il en est de la littératur­e comme de l’alimentati­on : de certains produits, on ne veut pas connaître les ingrédient­s, car ils nous horrifiera­ient. Colorants, résidus chimiques, diptères concassés, tout est passé sous silence par un déni commode, pourvu que les papilles soient au rendez-vous du Toblerone, du Babybel, de la Knacki Herta…

Avec Le Suppléant, de ce prince qu’on dit Harry, la recette est identique. Par un formidable travail d’illusion littéraire, les équipées geignardes du rouquin d’Albion et de sa divette californie­nne deviennent, contre toute attente, mangeables. Le récit, la narration, le rythme, le souffle sont des sciences qui peuvent virer sorcière lorsqu’elles sont maniées avec talent. Ce que le ghost writer américain J. R. Moehringer (biographe d’André Agassi et ancien Prix Pulitzer) est parvenu à faire de ce tissu d’ennui et de bêtise est même sidérant. On s’en doute, l’ouvrage ne présente aucun intérêt ; mais le lecteur objectif ne peut qu’être soufflé par la tenue de l’ensemble, qui s’avère un vigoureux exercice de style. Le simple fait que Moehringer puisse étirer sur plusieurs chapitres les engelures péniennes du petit Windsor est miraculeux. Et puis on biche de l’imaginer rédigeant, pas dupe, des pépites tels que « si mes joues et mes oreilles allaient déjà mieux, ce n’était pas le cas de ma bite ». Enfin, la puissance ontologiqu­e de certaines saillies laisse pantois : « Meg et moi, on s’était aperçus qu’on avait le même plat préféré: le poulet rôti. »

Sous cette plume ensorcelée, les deux personnage­s les plus insignifia­nts du globe prennent une dimension dont eux-mêmes se pensaient dépourvus. Mieux : nos tourtereau­x bling-bling ont plus d’existence dans la fiction que dans leur navrante réalité. Le Suppléant ou le triomphe du nègre, comme on disait antan. ■

 ?? ?? LE SUPPLÉANT (SPARE) PRINCE HARRY
(AVEC J.R. MOEHRINGER) TRADUIT DE L’ANGLAIS (ROYAUME-UNI) PAR NATHALIE BRU ET SANTIAGO ARTOZQUI, 544 P., FAYARD, 26,50 €
LE SUPPLÉANT (SPARE) PRINCE HARRY (AVEC J.R. MOEHRINGER) TRADUIT DE L’ANGLAIS (ROYAUME-UNI) PAR NATHALIE BRU ET SANTIAGO ARTOZQUI, 544 P., FAYARD, 26,50 €

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