Comment « mieux habiter » la Terre?
Dans un essai dense, Achille Mbembe en appelle à reconfigurer les relations entre humains et non-humains pour conjurer la catastrophe planétaire en cours.
La Communauté terrestre, d’Achille Mbembe, a des allures de manifeste. Le philosophe camerounais y dénonce le fantasme occidental de notre toutepuissance face à la nature et le règne d’une raison calculante qui atteint son acmé avec la mise en algorithmes de tout. Et il lui oppose une autre vision des relations entre la Terre et ses divers acteurs, humains et non-humains, faune, flore, sols, mers, etc., mais aussi rites, outils, ancêtres, etc., préfigurée par les métaphysiques précoloniales africaines, notamment animistes.
Selon celles-ci, la Terre n’est pas un objet à la disposition de l’homme-sujet. C’est le lieu du vivant sous toutes ses formes, un « grand réservoir de vie », et elle évolue, sans plan déterminé, selon les relations éphémères qui se tissent entre ses éléments, lesquels se répondent les uns aux autres et ne sont, par rapport à elle, que des « passants ». Elle ne saurait donc être matière à une appropriation privée ou à un calcul. Et on peut la mettre en valeur, non l’exploiter, au risque de l’épuiser et de provoquer sa mort, qui serait aussi la nôtre.
Cette leçon ancestrale conduit Mbembe à répudier l’universalisme européen, qui plaque sur le vivant une grille abstraite préconçue, et le capitalisme libéral, avec ses segmentations et ses frontières. Et il prône, en retour, l’« en-commun » d’un monde vu comme un Grand Tout habité par des multiplicités sans hiérarchie entre elles et concordant à parts égales à son maintien. C’est la « communauté terrestre », notre « dernière utopie ». Un ouvrage ambitieux, parfois un peu trop lyrique et foisonnant, mais l’un des essais récents les plus novateurs sur le sujet. ■