Trip nostalgique
Le voyage intime auquel nous invite l’autrice convoque fantômes et souvenirs. Empruntant tours et détours, il se révèle poignant et imprévisible.
Trois ans après Et toujours en été, un escape game littéraire et mélancolique qui nous conduisait dans les moindres recoins de sa maison de vacances familiale à Saint-Pair-sur-Mer, près de Granville, dans la Manche, Julie Wolkenstein poursuit son émouvante entreprise autobiographique. Elle façonne un nouveau conte de l’enfance où viennent s’entremêler les souvenirs, et adresse une poignante déclaration à ces lieux magiques qui nous habitent autant que nous les habitons. Mais cette fois, l’universitaire spécialiste de Henry James et traductrice de Fitzgerald nous emmène plutôt du côté de Kerouac et nous fait prendre la route. La route des Estuaires plus précisément, celle-là même qui pendant cinquante ans l’a conduite de Paris jusqu’en Normandie, celle qui traverse encore aujourd’hui son existence de part en part. L’ombre de son petit frère, mort mystérieusement d’un traumatisme crânien à l’âge de 2 mois alors qu’elle n’avait pas encore 2 ans, plane sur ce voyage intime dans les méandres de sa vie. Car si La Route des Estuaires mène à la maison de Saint-Pair, elle pousse plus loin jusque chez Maryvonne, leur nurse bretonne qui veillait sur eux quand ils étaient petits.
Mais n’attendez pas de ce livre désarçonnant une enquête et une résolution, préparez-vous plutôt pour un étonnant spectacle où les fantômes chantent à l’unisson. Peu importe la destination, ce qui compte, c’est le voyage dit l’adage, et le roman de Julie Wolkenstein n’est jamais aussi beau, drôle et touchant que quand il se perd en chemin. Des détours que l’on emprunte avec elle, des divagations qui l’assaillent, l’écrivaine fait de sublimes envolées littéraires. La scène d’introduction de la série The Walking Dead, les règles alambiquées des Aventuriers du rail, un vieux jeu de société ferroviaire, les critiques théâtrales et les articles de son père, Bertrand Poirot-Delpech, dans Le Monde, Mon frère de Maxime Le Forestier qui passe sur Nostalgie ou encore les héroïnes de Sébastien Japrisot : les pensées qui jaillissent sans prévenir deviennent le moteur d’une histoire émouvante et imprévisible comme la vie. ■ ★★★☆☆