Instantanés d’humanité
L’art de la nouvelle se décline en deux recueils engagés et engageants, qui mettent en lumière la vie des invisibles et les petits riens du quotidien.
Dans Avers, JeanMarie Gustave Le Clézio a réuni huit textes écrits entre 1993 et 2022, certains déjà publiés dans des magazines ou des anthologies. Ils ont en commun de mettre en scène des personnages situés au bas de l’échelle sociale, des « indésirables », comme l’indique le sous-titre. Qu’on y voie là une force ou une limite, l’écriture, aux yeux du Prix Nobel 2008, est indissociable en effet d’un certain engagement politique, d’une volonté de susciter chez le lecteur une révolte contre l’injustice et le sort fait aux humbles, où que ce soit dans le monde. De fait, à part « Fantômes de la rue », qui se déroule dans les transports en commun parisiens, l’intrigue des nouvelles d’Avers est plantée dans des décors lointains, Pérou, Mexique, Moyen-Orient, sans oublier l’île Maurice où a lieu le premier récit, une novella d’une soixantaine de pages qui, dans le style de conteur cher à l’auteur, raconte l’épopée d’une Mauricienne ayant grandi dans la misère, qui sort de sa condition grâce à ses talents de chanteuse et devient femme, princesse, diva. Après Mondo, Printemps ou Tempête, Avers confirme ainsi la place qu’occupe la forme courte dans l’oeuvre de Le Clézio, quoiqu’il n’en ait pas fait sa spécialité, contrairement à David Thomas. Ce dernier s’est imposé depuis le début des années 2000 comme le maître – et presque le seul praticien en France – d’un genre à part, la nouvelle miniature, l’instantané photographique : ses textes sont longs d’une à deux pages, parfois de quelques lignes. Il y capture des saynètes de la vie quotidienne, des caractères, l’état d’une époque et d’une catégorie sociale, la classe moyenne fatiguée, résignée, pitoyable, attendrissante et comique. Ces écrits réunis dans Partout les autres n’ont l’air de rien à première vue, mais ce sont des mécaniques de haute précision où chaque mot compte, dans un style oral, direct et néanmoins travaillé. Thomas a l’art des incipit, qui nous font entrer immédiatement dans chaque texte ; il a aussi l’art des chutes, des points culminants, de sorte qu’on a toujours envie de passer au suivant. Chacun de ces récits brefs recèle un regard sur l’homme, ses médiocrités, ses faiblesses, à la fois lucide et navré, parfois moqueur, mais sans cruauté. Tels des sketches de haute tenue, ces nouvelles étroites en superficie recouvrent une profondeur cachée, à la façon des icebergs. ■