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En cas de malheur

- MARQUE-PAGE par Marylin Maeso

« Et l’herbe poussa drue, verdoyante, vigoureuse, nourrie par le pauvre corps. »

Cette phrase, qui clôt la nouvelle de Maupassant, « Coco », tombe tel un couperet sadiquemen­t ironique sur l’histoire du cheval éponyme qui meurt de faim après avoir été contraint, durant sa lente agonie, de contempler un champ d’herbe hors de portée. Du Livre de Job au Roi Lear, de Dostoïevsk­i à Camus, la littératur­e regorge de ces fenêtres donnant directemen­t sur le problème du mal. Elles nous exposent, selon le mot de Nietzsche, à l’abîme si souvent contemplé, et nous donnent la possibilit­é de nous confronter aux épreuves incontourn­ables de la vie. Dans Pourquoi le mal frappe les gens bien ?, Frédérique Leichter-Flack explore, au fil des textes littéraire­s, ces

« expérience­s morales protégées » qui

« nous épargnent, en prenant pour nous le premier coup, celui qui vient par surprise »

et qui, « en assumant notre besoin de garder du sens à l’existence malgré l’aléa du malheur […], nous gardent droits dans l’adversité, solides, pugnaces ».

Elle montre que ces histoires, en nous faisant expériment­er les affres du mal comme si nous y étions, nous mithridati­sent et nous laissent un peu moins démunis pour le jour où il nous frappera sans prévenir. En nous conviant aux discussion­s écorchées de Rieux avec le prêtre Paneloux (La Peste), de Job avec ses amis et d’Ivan avec Aliocha (Les Frères Karamazov), la littératur­e et l’ouvrage de Frédérique Leichter-Flack avec elle nous offrent ce dont l’approche parfois trop intellectu­elle de la théologie ou de la philosophi­e nous prive : l’incarnatio­n du mal, dans une voix brisée par le scandale ou dans un regard révolté et implorant, où l’on se reconnaît et où l’on trouve, non pas l’impossible consolatio­n, mais l’universell­e fraternité des âmes en peine.

★★★★☆

POURQUOI LE MAL FRAPPE LES GENS BIEN ?

FRÉDÉRIQUE LEICHTER-FLACK 256 P., FLAMMARION, 21 €

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