« ChatGPT ne doit pas nous effrayer »
Spécialisé dans les humanités numériques, le chercheur et critique littéraire Alexandre Gefen revient sur les enjeux de la révolution ChatGPT, ce robot conversationnel capable de produire des textes littéraires. Ou presque…
Quelle peut être l’originalité d’une « création » littéraire réalisée par ChatGPT ? Alexandre Gefen. Cet intelligence artificielle ne fait que régurgiter un savoir littéraire, un apprentissage sur ce qu’est un récit, à partir de centaines de milliers de textes littéraires. Les IA sont une formidable machine narrative. ChatGPT raconte beaucoup mieux qu’il ne raisonne car ce sont des moteurs statistiques qui vous prédisent les enchaînements de textes. Pour les mathématiques, cela entraîne des erreurs, mais il est capable de fabriquer des récits. Maintenant, peut-on étudier le style, la personnalité, l’originalité de ces textes ? Et à qui appartiennent-ils ? Des questions extrêmement importantes qui sont en train d’émerger et de bouleverser nos théories littéraires, nos philosophies esthétiques. Elles doivent composer avec de nouveaux objets très troublants. Par exemple, vous pouvez faire écrire les IA à la manière de Flaubert ou de Proust.
Peut-on créer des univers ou des personnages avec ChatGPT ?
A.G. C’est plus difficile à définir. Car un univers nouveau tient à une personnalité, une vie, une existence, un corps et pas seulement à des modèles statistiques. Pour le moment, ces machines ont une mémoire courte de ce qu’elles écrivent elles-mêmes. Elles ne sont pas capables de raconter des histoires très longues et, de fait, de développer un raisonnement complet.
Mais alors, les écrivains n’ont pas à craindre, sur le moyen ou long terme, la concurrence de cette technologie ?
A.G. En fait, cette technologie va être très utile pour mieux comprendre ce qu’est vraiment la littérature. Les intelligences artificielles telles qu’elles se présentent actuellement, c’est-à-dire de purs outils statistiques – on les appelle les « perroquets stochastiques » –, ne doivent pas nous effrayer. Elles peuvent remplacer un être humain pour faire un bulletin météo par exemple, pour résumer des textes, pour avoir un aide-mémoire. Pour décrire un rapport nouveau de la sensibilité humaine au monde, les IA nous renvoient au passé. Ce sont en réalité des machines rétrogrades et conservatrices. ■