LA RÉALISTE MÉCONNUE
Plus discrète, moins douée, la plus jeune de la famille a néanmoins choqué l’Angleterre victorienne avec ses romans crus et satiriques.
Elle est la petite dernière. Née le 17 janvier 1820, peu avant l’emménagement dans le presbytère de Haworth, Anne (Acton Bell) est dépeinte comme humble et douce, une fervente croyante en quête de certitudes. Dans la tribu Brontë, elle est « l’artisan », celle chez qui la culture littéraire de la famille se fait moins sentir, sa principale inspiration étant le réel.
À 11 ans, Anne participe pourtant à l’écriture du royaume imaginaire de Gondal avec sa soeur aînée, Emily, dont elle est très proche. À l’âge de 19 ans, ses différents postes de gouvernante l’éloignent de Haworth. Cette expérience nourrit son premier roman.
UNE JANE AUSTEN SCANDALEUSE
Agnes Grey est publié en 1847. Narration classique de la vie d’une gouvernante dans une famille fortunée, le roman a été injustement boudé par la critique, selon Jean-Pierre Ohl. Dans Les Brontë, l’écrivain estime qu’Anne y « décrit avec une sorte de tranquille horreur la cruauté des jeunes enfants, la vanité des adolescentes, la grossièreté ou l’hypocrisie des adultes. Il y a du Jane Austen dans ce regard distancié, équanime sur la médiocrité humaine ».
En 1848 paraît La Recluse de Windfell Hall. La construction complexe et les personnages subtils portent la marque du roman de sa soeur Emily, Les Hauts de Hurlevent. Anne commence sa deuxième fiction après la visite à Haworth de Mrs Collins, l’épouse malheureuse d’un pasteur alcoolique. C’est elle, le modèle d’Helen, la recluse qui doit subvenir seule aux besoins de son fils après avoir quitté Huntingdon, son mari violent.
Pour ce dernier – un bel homme spirituel qui sombre dans le mal –, Anne s’est inspirée de la déchéance de son propre frère, Branwell.
L’attitude de Helen, qui claque la porte au nez de son époux après avoir subi ses mauvais traitements, retentit dans l’Angleterre victorienne. L’écrivain Charles Kingsley dit de l’ouvrage qu’il « est totalement inapproprié de le mettre en les mains de jeunes filles ». Anne se défend dans une préface à la seconde édition : « Représenter le mal sous une lumière adoucie est sans aucun doute le parti le plus agréable pour un auteur de fiction. Mais est-ce le plus honnête ou le plus sûr ? » Un an plus tard, elle meurt de la tuberculose à l’âge de 29 ans. La Recluse de Windfell Hall est considéré aujourd’hui comme l’un des premiers ouvrages féministes. ■