L’AVENTURE EN FORD
Elle fut éprise d’ailleurs, comme une manière de fuite.
Morte trop tôt, à 34 ans, Annemarie Schwarzenbach, cet « ange inconsolable », comme la surnomma Roger Martin du Gard, n’a au fond jamais cessé de fuir. Son milieu de riches industriels suisses sympathisants de l’extrême droite, d’abord, avec lequel cette étudiante en histoire rompt en devenant antifasciste. La morphine, ensuite, dont elle échouera à se sevrer, ses tendances dépressives et ses tentatives de suicide l’obligeant à suivre plusieurs traitements psychiatriques. Devenue journaliste, elle gagnera l’Espagne en 1933, puis elle effectuera le voyage d’Istanbul à Ispahan, où, bien qu’homosexuelle, elle épousera un diplomate. Ses pérégrinations la mèneront dans la Russie de Staline et dans l’Amérique de la grande dépression, où elle se lie avec la romancière Carson McCullers, qui lui dédiera Reflets dans un oeil d’or, puis au Congo belge, en Éthiopie et jusqu’aux confins de l’Afghanistan, à bord d’une mythique Ford DeLuxe, en compagnie de la grande exploratrice Ella Maillart. Au gré de ses errances, Annemarie publie des fictions, des récits de voyage (La Mort en Perse, Hiver au Moyen-Orient), des poèmes tourmentés (Tétouan, Rives du Congo) et des reportages bourrés d’humanité, par dizaines, qu’elle illustre de photos extraordinaires: routes se perdant à l’infini, ports et marchés grouillant de monde, scènes de groupes ou portraits marqués par une grande sensibilité sociale. Elle meurt bêtement comme est morte à Ibiza la chanteuse Nico, elle aussi grande rêveuse voyageuse : d’une banale chute de bicyclette. Ce que la vie est mesquine, parfois. ■