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« VOYAGER, C’EST FAIRE L’EXPÉRIENCE DU MONDE »

Éric-Emmanuel Schmitt, qui livre chaque mois des conseils d’écriture dans notre magazine, publie Le Défi de Jérusalem, récit de son voyage d’un mois en Terre sainte en septembre 2022, à l’invitation du Vatican.

- Propos recueillis par Gladys Marivat

Pourquoi partir ? Éric-Emmanuel Schmitt. Aujourd’hui, plus personne ne part à l’inconnu. Parce que les images sont là. Telle est la différence avec les voyageurs et les pèlerins du passé. J’avais rendez-vous avec des images que je connaissai­s déjà. Mais ces images étaient plates, sans odeur et sans saveur. Partir, c’était prendre corps.

Vous n’étiez jamais allé en Terre sainte auparavant ?

E.-E.S. Non. J’avais eu quantité d’occasions pour la parution d’un livre ou la représenta­tion d’une pièce en Israël, et j’ai des amis qui y vivent. Mais il y a toujours eu un problème qui m’a empêché de partir. Comme si je devais attendre cette grande occasion.

Votre voyage commence avec un groupe de pèlerins. Une situation pas évidente pour le croyant solitaire que vous êtes…

E.-E.S. Ma foi est une foi de solitaire. Je suis né athée dans une famille athée, j’ai reçu une éducation athée, j’ai fait ma thèse sur Diderot. Ma foi s’est donc construite de façon très personnell­e: dans le désert du Sahara, en Algérie, que j’ai arpenté entre Tamanrasse­t et le massif du Hoggar, pour ce qui est de l’expérience de Dieu, et ensuite par la lecture très personnell­e des Évangiles. Je ne suis pas un homme qui prie avec les autres. Ce pèlerinage était pour moi d’un exotisme dangereux. Toutefois, je voulais voir ce que ça faisait d’être un pèlerin parmi les pèlerins. J’ai découvert quel sens cela avait de partager sa foi avec d’autres.

Être dans le mouvement a-t-il modifié votre écriture ?

E.-E.S. Complèteme­nt. Le voyage donne un corps, qui jouit ou qui peine, qui a parfois trop chaud et doit se reposer. Voyager, c’est faire l’expérience du monde dans sa matérialit­é. C’est important car quand on est écrivain, on fait plein de voyages abstraits. Aussi, j’ai expériment­é la concrétude de la foi. Quand je visite le Chemin de croix à Jérusalem, je suis entre des époques éloignées de deux millénaire­s. Ce que je vois me parle autant que mon imaginatio­n. D’un coup, dans l’indifféren­ce d’une passante, je vois l’indifféren­ce des passants devant Jésus. Jérusalem est un incendie perpétuel. C’est un lieu qui est traversé, et qui m’a traversé. Il me donne des raisons de vivre.

Marchez-vous tous les jours ?

E.-E.S. Je marche au minimum une heure par jour. Avant, je disais que je marchais avec mes chiens, mais je n’ai plus qu’une petite chienne labrador. J’ai besoin de marcher et de nager. Il n’y a pas un problème d’écriture qui ne peut être réglé par une bonne marche. Un problème de structure romanesque, une formule qui ne vient pas, vous faites une bonne marche et vous trouvez une solution. Pour distinguer l’essentiel de l’accidentel: la marche. La marche est une vraie hygiène d’écriture.

Aimerez-vous retourner en Terre sainte ?

E.-E.S. Il ne faut jamais retourner au même endroit. Si j’y retourne, ce sera pour y emmener des gens que j’aime. Je serai là pour eux, je ne serai pas perméable à ce qui m’entoure comme la première fois.

Quelles autres routes aimeriez-vous explorer ?

E.-E.S. J’aimerais aller dans des forêts qui me font peur, comme l’Amazonie et en Sibérie. Chez moi, la peur est un événement, un miroitemen­t du désir. En Terre sainte, j’avais peur d’avoir rendez-vous avec rien. À la place, j’ai l’impression d’avoir été concassé et d’entamer maintenant une convalesce­nce qui va m’entraîner vers des choses très belles. ■

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 ?? ?? LE DÉFI DE JÉRUSALEM. UN VOYAGE EN TERRE SAINTE ÉRIC-EMMANUEL SCHMITT POSTFACE DU PAPE FRANÇOIS, 224 P., ALBIN MICHEL, 19,90 €. EN LIBRAIRIES LE 5 AVRIL.
LE DÉFI DE JÉRUSALEM. UN VOYAGE EN TERRE SAINTE ÉRIC-EMMANUEL SCHMITT POSTFACE DU PAPE FRANÇOIS, 224 P., ALBIN MICHEL, 19,90 €. EN LIBRAIRIES LE 5 AVRIL.

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