« NOUS AVONS RÉINVENTÉ LA LANGUE DE DUMAS POUR ÉCRIRE LES DIALOGUES »
La nouvelle adaptation des Trois Mousquetaires, réalisée par Martin Bourboulon, est une indéniable réussite. Les scénaristes Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte reviennent sur leur travail si singulier.
Quelles furent les premières étapes de cette nouvelle adaptation ? Alexandre de La Patellière. L’image des Trois Mousquetaires était un peu dégradée parce que la plupart des adaptations allaient souvent dans le même sens, à savoir la comédie. Elle existe, mais ce n’est pas tout le livre ! En relisant le roman, la dimension tragique nous a frappés. Les personnages ont beaucoup de panache, mais ils appartiennent à un monde violent et à une France en flammes. Ce fut notre point de départ : travailler au premier degré, essayer de raconter cette histoire comme nous l’avons lue.
Matthieu Delaporte.
L’autre travail, c’était de comprendre comment les auteurs, Dumas et son collaborateur Maquet, ont construit cette histoire et pourquoi ils l’écrivent. C’était la fin du xixe siècle, une époque préindustrielle pendant laquelle les jeunes ne pensaient qu’à s’amuser. L’idée de Dumas est de redonner le sens des valeurs à une génération qui n’en a plus… En fait, les mousquetaires, c’est le dernier corps des chevaliers médiévaux. A.L.P. Nous sommes passés, comme toujours, de l’excitation absolue à un moment de dépression profonde. Il y a plein d’incohérences. On a découvert que Dumas ne réunit quasiment jamais les mousquetaires et que si Milady est présente dans la scène d’ouverture, elle ne revient que 700 pages plus loin! Et quand on la retrouve, c’est dans une scène absurde : d’Artagnan, le jeune Gascon sans éducation, se fait passer pour un Anglais qu’elle connaît, mais elle ne le reconnaît pas… C’est compliqué à mettre en images. Au gré de l’écriture, des personnages changent d’avis, de fonction… C’est aussi dû au fait que le roman est publié en feuilleton sur plusieurs mois. Mais il y a des passages obligés, comme les ferrets. Et là, c’est formidable. La première partie est un roman d’aventures, et la seconde un thriller sombre et tragique. M.D. Il n’y a aucun personnage monolithique dans le roman. Ils sont tous ambigus et nous avons désiré développer cet aspect. On peut ne pas être d’accord avec Milady, mais ce qu’elle fait a un sens. Louis XIII, lui, est présenté comme un crétin ou une marionnette. Il a effectivement des mignons, des hommes auxquels il se réfère beaucoup, et a trouvé en Richelieu un père de substitution, mais c’était quelqu’un de cultivé, qui ne voulait pas la guerre. Quant à Richelieu, il est souvent présenté comme un diable absolu. Mais peut-être a-t-il raison: que la reine de France ait une liaison avec le ministre de la Guerre du pays avec lequel la France va entrer en conflit, ce n’est pas génial. On a voulu montrer des personnages qui agissent avec des objectifs contradictoires.
Les dialogues sont très réussis. Comment les avez-vous imaginés ?
A.L.P. C’était le coeur de notre problématique de départ. On s’est vite rendu compte qu’on ne pourrait pas utiliser les dialogues de Dumas. Et il n’était pas non plus possible de faire parler les personnages comme aujourd’hui. C’est le souci des versions modernes : dès la première phrase, on ne croit pas à ce monde-là. Il fallait donc réinventer la langue du xviie…
M.D. Mais Dumas réinventait déjà la langue du xviie ! La correspondance entre Louis XIII et Richelieu, ce n’est pas Les Trois Mousquetaires : c’est une langue vraiment complexe. Dumas utilise une langue plus simple. Il enlève les détails, fait très peu de descriptions. C’est un auteur précinématographique : une scène d’action dure le temps de la lecture. Et il met des plâtrées de dialogues, à la fois pour aller à la ligne, et aussi parce que c’est un homme de théâtre… Mais on a pris un immense plaisir à inventer une langue qui ne soit ni celle du xviie, ni celle de Dumas ni celle d’aujourd’hui.
Ce qui vous permet par exemple de paraphraser Churchill parlant de la reine : « Elle aura le déshonneur et la guerre »…
M.D. On paraphrase aussi Scorsese et Les Affranchis : « Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours rêvé d’être mousquetaire »… Inventer une langue, c’est aussi jouer avec elle. Mais tout n’est pas passé. On avait écrit, pour reprendre Michel Audiard : « Les Gascons, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît »… Mais le réalisateur Martin Bourboulon nous a dit: « Là, c’est trop, ça va se voir »…
Vous avez aussi adapté Le Comte de Monte-Cristo, que vous allez réaliser cet été. Dumas, encore et toujours ? M.D. Comme beaucoup de scénaristes, Alexandre et moi sommes fans de Dumas : c’est un peu notre père à tous… et Le Comte de Monte-Cristo, c’est un vieux rêve. Franchement, j’ai cru en s’y mettant que ce serait plus simple car Les Trois Mousquetaires, ça peut friser le ridicule : les costumes, les combats à l’épée… Monte-Cristo semblait plus proche d’une histoire d’aujourd’hui, mais c’est un enfer. Le livre est incroyablement complexe.
A.L.P. Je trouve très excitant de réinvestir le patrimoine des grandes oeuvres françaises avec des lectures personnelles et en imaginant des films différents les uns des autres. J’étais très heureux de voir Illusions perdues d’après Balzac.
Trois scénarios en trois ans : vous avez une productivité impressionnante.
M.D. Il faut comparer : en cinq ans, Dumas et Maquet ont écrit La Reine Margot, Les Trois Mousquetaires, Vingt ans après, Le Comte de Monte-Cristo, au moins trois ou quatre pièces, des récits de voyages… Dumas écrivait aussi à toutes ses maîtresses et il était directeur de théâtre… Comme Victor Hugo, c’est un surhomme ! ■ de Martin Bourboulon avec François Civil, Eva Green, Vincent Cassel, Romain Duris, Pio Marmaï, Louis Garrel, Lyna Khoudri… En salles le 5 avril. (Lire aussi page 32)