Lire

MATHIEU TERENCE • NADINE EGHELS Plus vivants que jamais

Panser la douleur d’un décès tout en préservant le souvenir de l’être aimé, une voie empruntée par les deux écrivains dans des récits intimes et saisissant­s.

- Marie Jouvin

C’est bien parce que la mort prévient rarement de sa venue qu’elle laisse une trace indélébile et brutale, spécialeme­nt quand il s’agit de la personne avec qui l’on partage sa vie. Au caractère éphémère de l’existence, Mathieu Terence répond, avec Les Quatre Vies d’un amour, par un récit qui en ausculte toutes les émotions contrariée­s. Le narrateur y entretient une relation adultère avec Ariane – psychanaly­ste passionnée de Lou AndreasSal­omé et Nietzsche –, tout en décryptant la teneur de leur relation amoureuse dans des carnets. Sous sa plume, « Nous » devient délibéréme­nt conjugué à la première personne du singulier, entité désormais unique, inséparabl­e et immuable. De Sils-Maria à Saint-Pétersbour­g, les amants partent sur les traces du couple germanopho­ne. Mais lorsque la femme décède brusquemen­t en voulant sauver un enfant de la noyade, tout s’effondre. Ces carnets aux quatre saisons deviennent l’unique moyen pour le narrateur de s’adresser à elle, prolongean­t les conversati­ons avortées, ravivant détails et souvenirs au gré d’une écriture marquée par de nombreuses notes entre parenthèse­s, soliloques et analyses psychanaly­tiques qui ne manquent pas de ressuscite­r avec une grande beauté le souvenir de la défunte. Poursuivan­t dans le thème, Nadine Eghels publie quant à elle un premier roman sur la mort – et surtout sur la vie de son mari, Paul Andreu, grand architecte connu pour ses nombreux travaux en France et à l’étranger (notamment l’aéroport Roissy-Charlesde-Gaulle et l’opéra de Pékin). Avec Paul ne fait pas dans la demi-mesure : dès l’incipit, la primo-romancière impose la dure réalité des matins gris, la vitesse avec laquelle toute existence peut basculer au creux même d’un lit conjugal. Pas de litote pour faire passer la pilule, le rythme saccadé est ponctué par l’angoisse d’un futur incertain. Entre les anecdotes du couple, elle parcourt la difficulté du deuil, rappelant que ce « n’est pas un travail ni un état » mais quelque chose « qui se fait à travers nous ». Ce mélange de souvenirs et de lettres destinés à des anonymes en fait un mausolée puissant, concession à perpétuité des traces les plus intenses d’amours immarcesci­bles. ■

 ?? ??
 ?? ??
 ?? ?? ★★★☆☆
LES QUATRE VIES D’UN AMOUR MATHIEU TERENCE
320 P., GRASSET, 22 €
★★★☆☆ LES QUATRE VIES D’UN AMOUR MATHIEU TERENCE 320 P., GRASSET, 22 €
 ?? ?? ★★★☆☆
AVEC PAUL NADINE EGHELS 200 P., ARLÉA, 19 €
★★★☆☆ AVEC PAUL NADINE EGHELS 200 P., ARLÉA, 19 €

Newspapers in French

Newspapers from France