KIM ZUPAN En terre profonde
Avec un style très inspiré, et toujours dans le cadre du Montana qui lui est cher, l’auteur campe un antihéros luttant pour l’âme d’un bout d’Amérique déclassée.
Tout un pan de la littérature américaine ausculte aujourd’hui le sentiment d’abandon qui conduisit, entre autres, le pays profond à faire élire Donald Trump : Ohio de Stephen Markley et American Rust de Philipp Meyer en sont deux exemples brillants. Avec Trop loin de Dieu, Kim Zupan s’applique à montrer que le phénomène n’est pas récent, tout en lui appliquant les codes du roman noir et du nature writing.
1981. Hickney traverse en pick-up l’hiver glacial du Montana pour ramasser les carcasses d’animaux percutés qui gisent sur les routes alentour. C’est son métier depuis qu’il n’est plus militaire. Dans une cabane abandonnée, il débite la viande récupérée pour la distribuer à ses rares proches. Parmi eux, Jimmy est passionné par l’alcool et les nuages ; Hickney a pour lui des attentions de grand frère depuis qu’un accident l’a privé de ses jambes. Soeur de Jimmy, Anna boit un peu moins et vit dans un mobil-home avec les deux filles qu’elle a eues d’un truand indien. Dans la ville traversée par coyotes et chiens errants où des planches sont clouées à toujours plus de fenêtres, la routine quotidienne aux allures d’expiation de Hickney est bouleversée par l’installation d’un groupe de survivalistes. Leur chef Van Zyl lui propose de travailler pour eux, et ce surcroît de revenus est synonyme de rêves nouveaux. Mais l’intégration des arrivants ne se fait pas sans heurts, et la « cause » dont ils sont les prosélytes inquiète.
Les personnages de Trop loin de Dieu s’agitent dans un environnement majestueux en toute saison, où la civilisation importe peu; la faune (tels bien des humains) semble d’ailleurs considérer Hickney comme l’un des siens. Les thèses de Van Zyl y plaisent à l’Américain « en colère contre lui-même et [qui] en veut aux autres » et leur succès en augure d’autres. Quasi métaphysique, la bataille pour l’âme de l’Amérique se joue selon l’auteur à l’échelle de chaque individu. Pour Hickney, elle consistera à prendre conscience de son attachement aux bribes d’humanité dont sa communauté demeure capable, même si, comme dit le shérif : « Les seules fois où je mange une salade de pommes de terre digne de ce nom, c’est quand quelqu’un meurt. » Hickney finira par risquer pour autrui le bonheur fragile qu’il espère enfin. Qui reste capable d’un tel choix ? ■
C’est du vintage
Charles Read a perdu sa mère alors qu’il n’avait que 10 ans ; son père, devenu alcoolique, s’en est miraculeusement sorti. Dès lors, le garçon, qui s’estime béni, entend rembourser sa dette. Ça tombe bien : voici Howard Bowditch, un vieux ronchon flippant, qui vit seul avec son chien. Envers et contre tout, Charles s’échine à devenir son ami. Mais quand Howard finit par mourir, c’est une tout autre histoire qui commence…
C’est du solide
« Si tu vas dans cet Autre monde où deux lunes apparaissent dans le ciel à la nuit tombée »… Sans trop déflorer l’intrigue, disons qu’il faut attendre la page 218 avant d’être bien sûr qu’on va voyager pour de bon. Au préalable : une longue et méticuleuse mise en place – comme à son habitude, King s’attarde sur ses personnages, leur passé, leur milieu, de telle sorte que lorsque la bascule se produit, on a l’impression de les connaître depuis toujours.
C’est du pur
Un puits, un escalier, une ville au loin ; des hautes tours qui semblent en verre. À la suite du jeune homme, éberlué pareil, on entre en fantasy et on retrouve son âme d’enfant. « J’étais comme Charlie au Pays des Merveilles. » Mais il y a une prison, aussi, il y a du sang, un destin contrarié, et le terrible Flight Killer, « affreux, affreux ». Alors, rêve ou cauchemar ? Pas de doute, en tout cas : on est bien chez King.