L’auteur dans le dur
Hors les enquêtes de Maigret, l’écrivain belge explorait les tourments humains dans une série de « romans durs ». Il y inventait aussi des formes de récits d’une grande modernité.
L’anecdote est rapportée par Didier Decoin. Au tournant des années 1920, Georges Simenon, romancier en devenir, apporte régulièrement un conte au quotidien Le Matin qui en publie chaque jour. Colette est chargée de choisir parmi toutes les propositions. La voilà devant ce jeune Belge venu à Paris, qui se présente sous le pseudonyme de Sim : « C’est bien, mais écrivez donc la même chose simplement ! Pas de littérature, mon petit Sim, pas de littérature ! » Il semble que Simenon ait suivi ce conseil à la lettre. Et même à la phrase, à la virgule et au récit tout entier. Et pourtant… Cette simplicité simenonienne, devenue une lapalissade, est sans doute plus complexe qu’il n’y paraît. On pourra, une nouvelle fois, le vérifier en lisant les romans durs de l’auteur, réédités par Omnibus à l’occasion du 120e anniversaire de sa naissance1. Ces 117 romans, sans Maigret, parus entre 1931 et 1972, éclairent la philosophie de Simenon – « qu’il est dur le métier d’Homme » – mais lui donnent aussi l’occasion d’aborder d’autres intrigues et d’inventer des narrations singulières2.
Au fil des années, les enquêtes du commissaire de la PJ, aussi brillantes soientelles, pouvaient s’apparenter à des vacances littéraires pour Simenon, qui suivait peu ou prou un même modèle. Au contraire des romans durs qui libèrent la plume de l’écrivain tout en s’appuyant sur les passages obligés que sont un crime, une victime, un coupable. Si la « simplicité » se lit toujours à travers un style qui décrit et témoigne de ce qui est, Simenon imagine des histoires qui le poussent vers de nouvelles formes de récits: rupture narrative, allers et retours dans le temps, alternances de points de vue, etc. De là à écrire que Simenon pose les bases du nouveau roman… ■
1. À paraître aussi la bande dessinée Le Passager du Polarlys, d’après le premier roman dur de Simenon, et dont nous publions un extrait dans ce numéro (page 84).
2. Chacun des douze volumes, d’une dizaine de romans, est accompagné d’une interview de personnalités du cinéma : Patrice Leconte, Didier Decoin, Serge Moati…