En rouge et noir
Les Mémoires d’outre-politique du célèbre philosophe français reviennent sur plus d’un demi-siècle d’engagement et d’Histoire. Avec le regard subjectif et militant de l’auteur.
Comme l’indique le titre, ces Mémoires d’outre-politique ne parlent que de l’activité politique d’Alain Badiou : on n’y trouve rien sur son oeuvre philosophique ni sur sa vie personnelle, renvoyées à d’hypothétiques « Mémoires d’outre-amour ». Il raconte sa trajectoire politique sous les IVe et Ve Républiques, faisant défiler les événements qui ont fixé sa vision du monde : l’Occupation, la guerre d’Algérie, la crise de 1958, les grèves de 1960 en Belgique, la crise des missiles, etc. Le tournant de sa vie politique et de sa vie tout court, c’est 1968: le professeur socialiste bon teint encarté PSA (Parti socialiste autonome, l’ancêtre du PSU) tourne maoïste de choc et fonde l’Union des communistes de France marxiste-léniniste (UCFml); l’année suivante, il compose avec Michel Foucault l’équipe de philosophie de la toute nouvelle université Paris 8. C’est le début de ses « années rouges », qui dureront jusqu’à la fin de l’UCFml en 1985, et même jusqu’à aujourd’hui puisque ses idées, assure-t-il, n’ont pas changé d’un iota.
Badiou, ennemi juré de la démocratie bourgeoise (qu’il appelle « capitalo-parlementarisme ») et des élections, reste un partisan convaincu du communisme. Celui-ci, loin d’un astre mort, en est selon lui à la troisième phase de son développement, après la phase fondatrice du xixe siècle et l’expérience soviétique du xxe. À ce sujet, il refuse de condamner l’URSS – le stalinisme le laisse juste « perplexe » –, et récuse la notion de « totalitarisme ». Quant au maoïsme (soit la « Grande Révolution culturelle prolétarienne », ou GRCP), il incarne pour lui la formule idéale d’un « marxisme de notre temps ». Les Gardes rouges, les millions de morts ? Pas un mot. Cette exposition limpide d’un logiciel doctrinal antédiluvien est l’un des aspects les plus fascinants de ce livre, plus que le retour, parfois fastidieux, sur les archives et les faits. Badiou s’attaque au passage au thème actuellement si prégnant des identités qui, selon lui, « ne peut constituer la base d’un authentique concept politique », et il annonce pour le prochain tome vouloir régler son compte à l’écologie politique, qui « ne tient nul compte de la dialectique marxiste des intérêts de classe dans sa militance catastrophiste ». On a hâte d’en savoir plus. ■