L’Afrique tout feu, tout Flam!
La première édition du Flam – le Festival du livre africain à Marrakech – s’est tenue du 9 au 12 février dernier. Avec pour ambition d’abaisser les frontières entre les auteurs du nord et du sud du Sahara.
Tout est allé très vite. Ce samedi matin, dans un riad du centre de Marrakech, la journaliste franco-sénégalaise Fatimata Wane-Sagna et l’écrivain et artiste plasticien marocain Mahi Binebine se rappellent comment l’idée du Flam leur est venue. C’était sur le coin d’une table, en juin 2022 à Fès, pendant le festival Littératures itinérantes. Ils ont eu ce rêve: réunir les auteurs du nord et du sud du continent africain. Est-ce si nouveau ? Fatimata Wane-Sagna explique que si nous avons l’impression, en France, qu’il existe une littérature africaine englobant la Tunisie, le Maroc, le Congo et le Sénégal, la réalité est tout autre sur le continent. « Les livres de l’écrivaine et journaliste franco-tunisienne Fawzia Zouari sont introuvables à Dakar, par exemple. Les gens ici pensent qu’une littérature arabe ou arabophone ne va pas intéresser un public autre qu’arabe », remarque cette grande lectrice. Outre le problème de circulation des ouvrages entre les pays d’Afrique, le secteur du livre pâtit d’un manque d’investissement et d’aides des États.
RASSEMBLER ET ÉCHANGER
Après l’avoir écoutée tout sourire, Mahi Binebine enchaîne : « Nous sommes, Fatimata et moi, le contre-exemple : on s’entend parfaitement alors qu’on ne se ressemble pas du tout physiquement. Bien sûr, il y a des sujets qui fâchent. Tous les Marocains ont eu une “dada”, une ancienne esclave qui travaille comme nourrice. J’ai écrit un livre sur celle qui m’a élevé, Le Sommeil de l’esclave. » L’écrivain évoque son récit Cannibales, l’histoire de sept candidats à l’émigration vers l’Europe. « Ce festival est pour dire que nous, les Africains, nous pouvons rêver chez nous, poursuit-il. D’ailleurs, les Occidentaux ne veulent plus de nous, ils ont fermé les frontières. Nous pouvons aller chez les voisins: il y a 54 pays en Afrique, c’est vertigineux. Et surtout, nous pouvons voyager grâce à la littérature. »
Les deux organisateurs ont établi la programmation à partir des auteurs qu’ils lisent et apprécient, avec comme objectif de rassembler l’Afrique et ses diasporas, dans toutes ses langues et ses nationalités, souvent multiples. Parmi la quarantaine d’écrivains présents, citons: le Prix Nobel J.-M.G Le Clézio, Blaise Ndala, Mohammed Bennis, Jennifer Richard, Ananda Devi, Ken Bugul, Abdourahman Waberi, Fouad Laroui, Fawzia Zouari, Lilian Thuram, Makenzy Orcel, Leïla Bahsaïn, ou encore Abdelaziz Baraka Sakin. Ils ont échangé à Marrakech dans ce riad nommé Les Étoiles, créé par Mahi Binebine pour offrir des activités artistiques aux jeunes des quartiers. Les auteurs ont discuté, entre autres, de féminisme, des relations entre l’Afrique et les Caraïbes, de l’héritage de l’esclavage, de la place de l’artiste contemporain, et de la jeune génération d’écrivains. Cette dernière, incarnée par Elgas (Sénégal), Ernis (Cameroun) et Annie Lulu (République démocratique du Congo/ Roumanie), a largement conquis le public venu en nombre et de tout le Maroc écouter les débats et acheter des ouvrages dans la librairie éphémère au rez-de-chaussée. Elle a été conçue pour l’occasion par La Petite Librairie d’Emmanuelle Sarrazin (Marrakech) et la librairie Les Insolites de Stéphanie Gaou (Tanger).
Le matin, les lycéens ont pu poser leurs questions aux écrivains autour d’un petit déjeuner. Chaque soir, des lectures à haute voix, en français et en arabe, venaient conclure des journées intenses, qui pouvaient inclure une visite à la foire d’art contemporain africain 1-54 qui se tenait au même moment, juste à côté, dans le palace La Mamounia. Comme si, pendant ces quelques jours de février, toute l’Afrique était à Marrakech. ■