QUE VAUT ?
LE NOUVEAU ÉRIC CHEVILLARD
Il n’y a qu’Éric Chevillard pour commencer un roman par « Or ». Et pour écrire sans en avoir l’air tout un roman sur le sujet, précisément, de la méditation d’un sujet pour un roman – mise en abyme caractéristique de sa tournure d’esprit. Il imagine donc qu’on livre au narrateur de La Chambre à brouillard, savant amateur de son état, une sorte de bestiole inconnue, qu’il installe dans sa cave pour l’étudier et qu’il nomme « le sujet », comme en pathologie. On ne saura jamais ce que c’est ; on saura tout en revanche des réflexions qu’elle inspire au savant, passionné, fasciné, obsédé et troublé… C’est, en vérité, un exemple réussi de roman sur rien, au sens flaubertien : un récit monté artistement au-dessus d’un trou noir, dont il est question sans cesse mais sur quoi rien de concret n’est dit. On pourrait croire à un jeu théorique au énième degré, et c’est un peu ça ; pour autant, ce livre n’est pas réservé aux amateurs d’expériences métalittéraires, car l’humour sarcastique et pétillant de Chevillard le rend très drôle et jamais ennuyeux. Ses phrases, travaillées avec un soin maniaque, tirent vers l’aphorisme (d’où les alinéas quasi systématiques) et sont un régal pour les amoureux de la langue et des acrobaties qu’on fait avec. La chute malicieuse clôt ce roman-jeu de manière idéale, ce qui n’est pas peu paradoxal de la part d’un écrivain sujet au vertige, qui assure dans un autre livre paru ces jours-ci, Craintif des falaises (L’Arbre vengeur), n’avoir qu’une peur, celle de tomber.