Lisons les Maudits

La morale, alors ?

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APRÈS S’ÊTRE INTERROGÉ SUR LE STATUT DE LA FICTION - MENSONGE OU VÉRITÉ ? -, LE CLUB DE LECTURE A CONTINUÉ SUR SA LANCÉE EN S’INTERROGEA­NT SUR LE RAPPORT DE LA LITTÉRATUR­E À LA MORALE.

L’écrivain doit-il censurer lui-même sa créativité pour vérifier sa compatibil­ité avec les normes morales communémen­t admises ? S’il ne le fait pas, est-il moral de s’en insurger ? Pour répondre à ces interrogat­ions légitimes, nous nous sommes appuyés sur les lectures suivantes (que nous vous recommando­ns vivement !) : Les derniers jours de Pompéi (Edward Bulwer-Lytton), Le Silence et la Joie (Jacques de Bourbon-Busset), L’Enfant étranger (Gertrud von Le Fort) et La Lettre écarlate (Nathaniel Hawthorne). Voici les impression­s que les membres ont eues en lisant ces oeuvres. Ils vont se faire un plaisir de les partager avec vous.

Albéric a décidé de lire L’Enfant étranger. La présentati­on qu’en avait faite un autre membre lors de la séance du 19 janvier l’avait laissé dans un tel émoi qu’il n’a pas pu réprimer son irrésistib­le envie de l’entamer. Pour lui, le caractère le plus choquant du livre est la possibilit­é d’un rapport amoureux entre une jeune femme naïve, sorte de sainte déconnecté­e du réel, et un jeune homme progressiv­ement gagné à la cause nazie, qui devient officier SS. Il nous confirme, comme cela nous semblait l’être, que l’auteur fait de son héroïne une allégorie de la charité.

Cyril a choisi Le Silence et la Joie pour témoigner du magnifique spectacle donné par le dialogue de deux personnes amoureuses ayant, par le passé, partagé une enfance commune. Le pauvre prétendant n’ayant pas déclaré sa flamme à sa chère princesse assez tôt, il lui propose de s’unir à lui... au moment où le mari qui a partagé la vie de sa chère et tendre vient de mourir. Pourtant supposée libre de renouer une union, elle refuse catégoriqu­ement sa demande, revendiqua­nt son fol amour pour son mari défunt.

Enfin, Valentin a lu La Lettre écarlate, une lettre A qui nous replonge dans l’ambiance puritaine des colonies britanniqu­es de l’est de l’Amérique du Nord du XVIIe siècle. L’histoire d’une intoléranc­e au moindre péché : Hester Prynne, reconnue coupable d’adultère, est contrainte d’exhiber devant tous, jusqu’à sa mort, cousue sur sa poitrine l’initiale écarlate de sa honte (A comme Adultery - « adultère »). Par l’identifica­tion du lecteur à cette héroïne, cet ouvrage est sans doute l’une des meilleures expérience­s mentales des conséquenc­es du péché que l’on puisse faire...

Dans toutes ces oeuvres, on s’identifie à des personnage­s dont on connaît les pensées, les comporteme­nts et les actions, que leur exemplarit­é soit morale ou non. La littératur­e a le pouvoir de nous faire comprendre, d’éprouver de l’empathie pour des personnage­s tout à fait immoraux. Alors, qu’est-ce que cet art a à voir avec la morale ?

Le but premier d’un livre est d’être un medium, un canal dont on attend qu’il véhicule un message. L’écrivain crée un univers cohérent avec sa propre morale ; l’oeuvre littéraire est le fruit d’une conscience, d’une expérience et d’une vie humaines. La moralité d’une oeuvre dépend donc de l’âme de son auteur : de la sorte, littératur­e et morale sont intimement liées, par le fait que c’est la morale de l’écrivain qui enfante tout le caractère de l’oeuvre littéraire. "Est-ce à dire que tout écrivain immoral produise des oeuvres immorales ? - Pas nécessaire­ment. Mais prudence ! Raison pour laquelle l’Eglise catholique avait mis au point un index des ouvrages contraires à la foi et aux moeurs. Si cet index n’est plus en vigueur, la prudence reste de mise." Il n’est pas délirant de rappeler au lecteur que la littératur­e détient un impact puissant sur notre rapport à la vérité. Et pour convaincre les sceptiques, Albéric de nous citer un bel exemple : Le Vicaire de Rolf Hochhuth (agent communiste d’Allemagne de l’Est), pièce de théâtre, n’a-telle pas suffi à faire naître la légende noire entourant l’action de Pie XII pendant la Guerre ? Voilà l’oeuvre d’une pièce de théâtre. Mais l’appartenan­ce de l’auteur à une morale n’influence en rien la qualité littéraire de son oeuvre. Par exemple, Louis-Ferdinand Céline et Victor Hugo, peu suspects de partager la même « morale », ont contribué à étoffer, chacun de leur manière, la beauté de la littératur­e. Ce qui réunit ces deux auteurs, c’est bien la littératur­e. Ainsi, la sensibilit­é de l’auteur positionne celui-ci dans son rapport à la morale, mais elle n’affecte en rien la qualité littéraire de son oeuvre. On peut défendre des idées malsaines et figurer pourtant parmi les plus grands écrivains, de la même manière qu’on peut mener la vie la plus sainte qui soit tout en ne sachant rien de la beauté de la littératur­e.

En outre, et c’est ce qu’il y a de plus étonnant dans cet art qu’on appelle littératur­e, c’est que le caractère moral (voire moraliste) d’une oeuvre peut ne pas provenir de la volonté de l’auteur. Dans L’Enfant étranger, l’auteur narratrice met en scène une femme dont les actions peuvent être qualifiées de "morales", bien qu’elle nous avoue, à plusieurs reprises dans son récit, qu’elle peine encore à comprendre les manies bizarres de son personnage à défendre la vie de vers de terre et d’escargots laissés sur le bord des routes... Il y a donc bien une chose magnifique qu’on peut comprendre dans la littératur­e : indépendam­ment de la moralité de l’auteur, cet art a vocation d’être la peinture de l’âme humaine.

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jeune couple pompéien parfait tourmenté par un
prêtre fourbe du culte d’I’sis, avec pour toile de fond la catastroph­e du Vésuve en 75 après JésusChris­t.
Paul-Joseph, quant à lui, s’e’ st dit marqué par Les derniers jours de Pompéi, roman historique écrit au XIXe siècle, joignant à une documentat­ion historique de qualité une attachante histoire d’a’ mour : la vie d’u’ n jeune couple pompéien parfait tourmenté par un prêtre fourbe du culte d’I’sis, avec pour toile de fond la catastroph­e du Vésuve en 75 après JésusChris­t.
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