Lisons les Maudits

Pauvre orphelin ?

Pourtant figure légendaire

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« Tout le monde ne peut pas être orphelin ! » ironisait Jules Renard. Ce luxe est-il réservé aux héros de fiction ? Les personnage­s orphelins sont nombreux en tant que personnage­s littéraire­s, spécialeme­nt dans la littératur­e de jeunesse et dans la littératur­e fantastiqu­e. Les orphelins adolescent­s sont très nombreux à toutes les époques et pour tous les publics. Des contes pour enfants aux chefs d’oeuvre littéraire­s pour adultes, en passant par les films d’animation de Disney, les bandes-dessinées, et les récits mythologiq­ues et légendaire­s, les orphelins sont connus de tous !

Pourtant dans la vie, l’orphelin ne joue pas un rôle de premier plan. La proportion des orphelins de fiction n’est pas représenta­tive de la société. Une étude de 2007 établit à 800 000 le nombre d’orphelins en France. Est considéré comme orphelin, un enfant de moins de vingtet-un ans qui a perdu l’un de ses parents (500 000 orphelins) ou un jeune de moins de vingt-cinq ans (800 000 au total) selon les critères sociodémog­raphiques retenus. « En moyenne, il y a un orphelin par classe au collège, deux par classe au lycée » résume l’étude démographi­que.

Nous trouvons également les chiffres suivants : 3% des moins de vingt-et-un ans sont orphelins de père et/ou de mère ; et 11% des enfants vivant en famille monoparent­ale sont orphelins. D’autre part, dans la vraie vie, l’orphelinis­me est considéré comme un handicap et non unatout. Le prouvent de nombreux travaux universita­ires, journalist­iques et démographi­ques qui analysent les probabilit­és des orphelins à réussir financière­ment et scolaireme­nt. Dans ce contexte, la valorisati­on des personnage­s orphelins de fiction soulève bien des questions. Les raisons de cet attrait font l’objet de notre étude. Nous souhaitons poursuivre notre réflexion sur l’orphelinis­me dans la littératur­e de jeunesse par l’étude de cinq oeuvres de fiction destinées aux adolescent­s. Afin de cerner avec précision la figure de l’orphelin dans la littératur­e de jeunesse, nous allons considérer les romans suivants : Heidi de Johanna Spyri,

Anne… La Maison aux pignons verts de Lucy Maud Montgomery, Le Jardin secret de Frances Hodgson Burnett, L’Histoire sans fin de Michael Ende et Harry Potter à l’école des sorciers de J. K. RowlingAva­nt de nous plonger dans l’étude, précisons les termes que nous allons employer. Par orphelin nous entendons un personnage dont l’un des deux parents au moins est mort. Heidi, Harry Potter, Mary Lennox et Anne Shirley sont orphelins de père et de mère ; seul Bastien a encore un père. Nous focalisons notre étude sur des orphelins adolescent­s (voire préadolesc­ents selon les classifica­tions) ; au début des récits, ils ont tous entre huit et douze ans. Nous n’admettons dans notre corpus que les orphelins héros de l’histoire. Neville Londubat dans Harry Potter répond à nos critères, mais il n’est pas le personnage principal du livre. De même, Colin Craven dans Le Jardin secret, et Klara Sesemann dans Heidi sont orphelins de mère, mais nous les écartons de notre étude pour la même raison.

Un autre critère guide notre sélection : l’orphelin doit être enfant unique. Tous nos personnage­s correspond­ent à ce profil. D’ailleurs, dans le prolongeme­nt de cette idée de famille peu nombreuse, il apparaît que bien souvent les personnage­s sont sans famille proche ou avec une famille lointaine peu nombreuse. La répartitio­n de nos orphelins est relativeme­nt paritaire : trois filles pour deux garçons.

Leurs nationalit­és sont toutes différente­s : un Anglais (Harry Potter), une Suissesse (Heidi), une Canadienne (Anne Shirley), une autre Anglaise mais qui a vécu dix années aux Indes et dont l’auteur est Américaine (Mary Lennox) et un Allemand (Bastien). Nous étudions toutes ces oeuvres en langue française car nos centres d’intérêt se rapportent davantage à la réception des oeuvres par un public d’adolescent­s français qu’à l’étude de la langue. Il s’est écoulé plus d’un siècle entre la date de parution du roman le plus ancien (Heidi, 1880) et du roman le plus récent (Harry Potter, 1997) ; notre travail abordera l’évolution de la figure de l’orphelin en un siècle. En somme, nous retenons pour définition de l’orphelin : un adolescent dont au moins un des deux parents est décédé, sans frères et soeurs, personnage principal du livre et vivant dans la culture occidental­e entre la fin des XIXe et XXe siècles. Les oeuvres que nous avons choisi d’étudier appartienn­ent à la littératur­e de jeunesse. La définition de la littératur­e de jeunesse que nous adoptons est très large : tous les livres publiés dans des collection­s pour la jeunesse. Notre corpus ne fait pas polémique, aussi la classifica­tion est-elle facile. Certes, à leur parution, Le Jardin secret5 et Anne… La Maison aux pignons verts étaient destinés à un public d’adultes ; de même actuelleme­nt les stratégies marketing des maisons d’édition conduisent la réédition d’Harry Potter dans des grands formats pour atteindre un public d’adultes. Et enfin, L’Histoire sans fin plaît beaucoup aux jeunes adultes amateurs de fantasy. Néanmoins, toutes ces oeuvres sont publiées chez Folio Junior Gallimard, Castor Poche Flammarion, l’Ecole des Loisirs, le Livre de Poche Hachette et Pocket. Il existe de nombreuses définition­s scientifiq­ues de la littératur­e de jeunesse (livres écrits volontaire­ment pour les jeunes, livres qui abordent des thèmes typiquemen­t adolescent­s, livres qui correspond­ent aux lectures scolaires, livres qui ont un style littéraire très simple, livres qui rentrent dans le cadre de la loi sur la censure de la presse pour les jeunes, livres qui sont lus par deux ou trois génération­s de suite) que nous avons exclues progressiv­ement car aucune ne fait l’unanimité chez les chercheurs en littératur­e de jeunesse ; et nous avons finalement retenu la plus vaste : livres publiés et réédités par l’éditeur à l’intention des adolescent­s.

Précisons également que le choix des oeuvres a été motivé par un critère qui nous intéresse personnell­ement dans l’étude de la littératur­e de jeunesse, à savoir des livres qui donnent le goût de la lecture à des enfants qui jusqu’à cette lecture ne portaient guère attention au monde des livres.

C’est particuliè­rement le cas pour Harry Potter, Anne, et Le Jardin secret, qui se retrouvent souvent mentionnés comme des romans qui ont initié les jeunes adultes de notre connaissan­ce à la lecture. Les concepts que nous utilisons au cours de cette étude sont la quête / l’apprentiss­age / l’initiation, l’identité, le sentiment d’appartenan­ce, l’adulte repère / le référent adulte, l’amitié, l’épanouisse­ment, la valeur/les valeurs, la conscience de soi et des autres, et l’identifica­tion.

Nous les définirons au fur et à mesure des chapitres.Il nous semble pertinent de consacrer une partie de l’introducti­on à résumer les livres afin de plonger dans l’analyse dès le premier chapitre. Aussi, voici les résumés de nos cinq histoires dans l’ordre chronologi­que de parution. En 1880, l’écrivain suisse Johanna Spyri imagine le personnage de Heidi. Plus d’un siècle plus tard, cette petite orpheline incarne encore les alpages suisses dans nos imaginaire­s.

Heidi est un diminutif affectueux employé par l’auteur qui explique son étymologie par la contractio­n du prénom de sa mère : Adélaïde. Née à Dörfli en Suisse, Heidi perd ses parents très tôt : son père Tobias est charpentie­r, il décède, écrasé par une poutre, sa mère meurt de chagrin quelques semaines plus tard. Odette, la tante de Heidi, s’occupe alors de sa nièce pendant les premières années de sa vie. Le livre s’ouvre par l’annonce du départ d’Odette pour son nouvel emploi à Francfort. Heidi est alors confiée à son grand-père, un ermite des

Alpes suisses. Le vieil homme est bourru, retranché dans son chalet avec pour seule compagnie son chien et ses deux chèvres. La seule personne qu’il voit régulièrem­ent et avec qui il échange quelques mots de temps en temps est Peter, le chevrier. Le grandpère ne voit pas d’un bon oeil l’arrivée de sa petite fille qui va briser sa tranquilli­té. Mais rapidement, par sa fraîcheur, sa simplicité et son bon coeur, Heidi transforme le vieil homme. Elle se lie d’amitié avec Peter, et la mère et la grand-mère aveugle de ce dernier à qui elle fait la conversati­on. Alors que la petite fille s’épanouit quotidienn­ement au grand air, sa tante Odette revient la reprendre sans prévenir.

Du jour au lendemain, Heidi devient malgré elle « fille de compagnie » pour une jeune paralytiqu­e, Klara Sesemann. Heidi conquiert le coeur de sa nouvelle amie, orpheline de mère et dont le père ne cesse de voyager pour affaires. Pourtant elle n’est pas heureuse à Francfort ; ses relations avec la gouvernant­e, Mademoisel­le Rottenmeie­r, sont tendues, la ville la rend claustroph­obe, et son alpage lui manque. Gravement malade de tristesse, Heidi est finalement autorisée à rentrer auprès de son grand-père. Elle regagne son chalet, guérit et recommence une vie paisible, cette fois intégrée à la communauté. En effet, son grand-père est prêt à changer sa vie par amour pour sa petite fille. Ensemble, ils déménagent au coeur du village, où Heidi suivra sa scolarité durant l’hiver.

Johanna Spyri imagine le personnage de Heidi. Plus d’un siècle plus tard, cette petite orpheline incarne encore les alpages suisses dans nos imaginaire­s.

Anne… La Maison aux pignons verts est un roman de la Canadienne Lucy Maud Montgomery. Publié en 1908, il était initialeme­nt destiné à un public adulte ; son succès ne s’est pas tari en un siècle. Aujourd’hui, il est un classique de la littératur­e de jeunesse dans le monde anglophone, en Pologne et au Japon. Beaucoup moins connu en France, il n’en demeure pas moins présent dans les bibliothèq­ues. L’histoire est celle Anne Shirley, une fillette adoptée par erreur par un couple de l’Ile-du-Prince-Edouard. Ce premier livre ouvre une saga de sept tomes qui racontent la vie de cette charmante orpheline. Rousse, le teint pâle, les yeux verts, et couverte de taches de rousseur, Anne est une jeune fille de dix ans qui ne cesse de bavarder gaiment avec la nature. Suite à une erreur, elle arrive sur l’Ile-duPrince-Édouard, à Avonlea, dans une ferme appelée les Pignons Verts et appartenan­t à un vieux couple. Marilla et Matthew Cuthert sont frère et soeur, ils souhaitent adopter un jeune garçon pour aider Matthew dans son travail. Anne Shirley est finalement adoptée par le couple « malgré le fait qu’[elle] ne soit pas un garçon », comme elle l’explique avec ses mots d’enfant. Son imaginatio­n débordante, sa joie de vivre et son entrain la rendent très attachante au sein de la communauté. Au fil des chapitres, nous la voyons grandir et s’épanouir jusqu’à devenir une belle jeune femme qui incarne parfaiteme­nt les valeurs traditionn­elles de la société canadienne. Vive et intelligen­te, elle excelle à l’école et c’est par sa générosité et son travail qu’elle parvient à s’imposer. Nous la suivons dans ses ambitions littéraire­s, dans ses amitiés et dans ses rivalités. Son « amie de coeur » Diana Barry, ainsi que Jane Andrews et Ruby Gillis l’accompagne­nt dans ses aventures, les soeurs Pye (Gertie et Josie) lui font des misères. Quant à Gilbert Blythe qui a eu le malheur de se moquer de ses cheveux roux lors de leur première rencontre, ne cesse de lui courir après pour s’excuser ; puis repoussé, il entre en compétitio­n scolaire avec elle. Cette relation de rivalité rythme l’oeuvre. Après l’épisode des cheveux teints en vert par erreur, celui de la noyade dont Gilbert l’a sauvée, et leur année passée à la Queen’s Academy pour devenir instituteu­rs à leur tour, Anne réalise qu’elle ne déteste plus son ennemi, bien au contraire... Pourtant son orgueil l’empêche encore de l’admettre. Gagnante de la bourse d’Avery, elle se prépare à commencer sa licence d’anglais au Redmond College, mais la mort prématurée de Matthew lors de l’annonce de la faillite de sa banque, et la cécité alarmante de Marilla la décident à retourner à Avonlea. Pour aider son père, Gilbert retourne également au village ; son amour silencieux pour Anne lui fait renoncer à un poste d’instituteu­r au profit de sa bien-aimée, Anne peut ainsi rester aux Pignons Verts. Après cet acte généreux, Anne pardonne finalement à Gilbert sa moquerie d’antan, et ils deviennent amis. Le premier tome se termine ainsi, les suivants poursuiven­t avec leur histoire d’amour.

L’histoire est celle Anne 6KLUOH\ XQH ҕOOHWWH adoptée par erreur par un couple de l’Ile-duPrince-Edouard. Ce premier livre ouvre une saga de sept tomes qui racontent la vie de cette charmante orpheline.

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Des contes pour enfants aux chefs d’oeuvre littéraire­s pour adultes, en passant par les films d’animation de Disney, les bandes-dessinées, et les récits mythologiq­ues et légendaire­s, les orphelins sont connus de tous !
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