Instant Pop Culture Les autistes Asperger s’épanouissent en devenant des geeks
Coups de gueule sur YouTube, communautés d’entraide sur les forums, témoignages sur les blogs: handicapés en société, les autistes Asperger ont trouvé, via internet, un moyen de s’exprimer et de se créer une identité.
Aux États-Unis, il est encore parfois appelé «le syndrome geek». Le syndrome d’Asperger transformerait les personnes qui en sont atteintes en petits génies de la Silicon Valley (c’est ce que racontait ce reportage de Wired de 2001), ayant hérité du gène de la technologie et d’un QI exceptionnel, à défaut de savoir se faire des amis.
Aujourd’hui, on est revenu de cette définition caricaturale. D’après la définition scientifique, le syndrome d’Asperger se caractérise par une altération des interactions sociales (semblable à celle observée dans l’autisme), associée à un répertoire d’intérêts et d’activités restreint, stéréotypé et répétitif. Mais contrairement à l’autisme, il ne s’accompagne pas de troubles du langage ou du développement cognitif. Une personne autiste Asperger –un «aspie» comme on les surnomme aussi– ne comprend pas les codes sociaux: l’implicite, le langage non verbal, les conventions tacitement admises... Le personnage de Sheldon Cooper, dans la série américaine The Big Bang Theory,
même si pas officiellement diagnostiqué Asperger, aide à concevoir ce que cela implique au quotidien:
– Il se retrouve complètement démuni lorsqu’il s’agit de faire la conversation ou de dire des banalités afin de consoler ses amis (se contentant au mieux de leur tapoter l’épaule en disant «Laa laa», comme on le lui a appris).
– Il est très maladroit dans ses relations et tente d’inventer un algorithme pour se faire des amis.
– Inconscient que «toute vérité n’est pas bonne à dire» ou que certains sujets sont intimes, il livre le fond de sa pensée sans prendre de pincettes:
«Je ne veux pas être impoli ou discourtois, mais je tenais simplement à vous dire que votre profession est une escroquerie et que votre gagne-pain dépend de la crédulité des gens stupides. Mais encore une fois, pas d’offense!»
– Il a du mal à déchiffrer les émotions et à déterminer leur cause:
«Sheldon: –Es-tu énervé à cause de quelque chose?
Leonard: –Quel était ton premier indice?
–D’abord l’heure tardive, puis ton manque d’énergie et enfin ton irritabilité.
–Oui, je suis énervé!
–Oh. Je ne repère pas souvent ces choses-là. Un point pour moi!»
– Il ne comprend pas toujours le second degré et les expressions imagées (ses amis sont obligés de le prévenir lorsqu’ils sont sarcastiques):
Internet, fenêtre sur le monde des neurotypiques
Cette cécité sociale peut être très handicapante en société. Mais dès qu’un «aspie» passe la porte de chez lui, enfin seul, ses difficultés s’envolent.
C’est là que l’arrivée d’Internet a tout changé pour les personnes atteintes de ce syndrome. Avec ses réseaux sociaux, ses blogs et ses forums, il rend possible ce tour de force: être dans le monde tout en restant à distance des gens.
«J’ai commencé à tout faire via ces outils fabuleux: études, travail, achats, activités sociales, organisation, préparation de déplacements, hobbies..., s’extasie Alexandra sur son blog. On peut visiter le monde avec Google Earth [...], repérer les moindres détails d’une rue [...], visiter virtuellement des musées...» Pour autant, le monde virtuel n’est pas une nouvelle «bulle» où les autistes resteraient cloîtrés, trop heureux d’échapper au monde chaotique des neurotypiques. Communiquer par l’écriture représente une petite révolution au niveau de leurs interactions sociales: les voilà débarrassés de la corvée du décryptage des regards, des gestes et des expressions faciales.
Aucun parasite, même pas le bruit environnant, apprécie Julie, 30 ans, aspie enseignante-chercheur à Nantes: «On va à l’essentiel, il y a beaucoup moins d’implicites et de sous-entendus.» Et nul besoin de mettre les formes pour aborder son interlocuteur, note Alexandre, 25 ans, en service civique à Nancy: «Il y a moins de règles et de formalités: on n’a pas besoin de dire des formules de politesse ou de parler de la pluie et du beau temps. On peut aborder quasiment directement les sujets qui nous préoccupent.»
Parler via Internet offre aux Asperger «un contrôle accru» sur la conversation grâce à «la nature asynchrone de la communication», note une étude de l’Université de Nottingham. En clair, un message écrit n’exige pas une réponse dans la seconde. Pour des personnes sujettes à l’anxiété, c’est une aubaine, comme en témoigne Alexandre:
«J’ai davantage de temps pour réfléchir à ce que je veux répondre, la façon dont je dois répondre, la syntaxe et l’organisation de ma réponse… Je ne me sens pas oppressé par la soudaineté d’une conversation et l’exigence de retour, comme à l’oral, et si besoin, je peux reporter ma réponse à plus tard sans que ce ne soit gênant.»
Et quoi de plus clair qu’un grand sourire jaune?
«Les émojis peuvent être de très bons alliés» pour décoder les expressions, approuve François, 21 ans, de Nancy. A condition de les comprendre, tempère Hadrien, blogueur breton de trente ans: «Les émojis ne me facilitent pas la tâche. Je les rajoute pour adoucir mes propos, des fois qu’ils soient interprété avec un mauvais «ton». Mais c’est plutôt difficile de choisir le bon. Dans l’autre sens, c’est quand même intéressant. On peut savoir si la personne rigole ou si elle est sérieuse, quand une phrase est ambigu.ë»
Mais ces réseaux sont loin d’effacer tous les pièges sociaux dans lesquels les personnes autistes ne manquent pas de tomber. D’abord, il reste des informations implicites, liées aux émotions ou aux intentions, que l’écrit ne révèle pas. Alexandre l’a appris à ses dépens: «Dans le cas où une personne n’exprime pas clairement le fait qu’elle est triste ou heureuse, je ne dispose d’aucun indice ou point de repère pour le deviner ou même l’imaginer. J’arrive seulement à m’en rendre compte lorsqu’il s’agit d’une personne avec qui j’ai l’habitude de converser par écrit, parce que je suis attentif aux détails et qu’il y a toujours des éléments qui changent dans notre manière d’écrire en fonction de notre humeur.»
Bloqués par leurs «amis» Facebook Mais le gros problème, sur Facebook, ce n’est pas d’établir un contact. C’est de le maintenir. Les participants à l’étude de l’Université de Pittsburgh racontent qu’après avoir réussi à contacter des amis en ligne, ces derniers les ont souvent bloqués... ou les ont tout simplement ignorés. Les «aspies» qui ont été assez chanceux pour avoir une explication rapportent que leurs interlocuteurs les ont trouvé trop directs ou trop intrusifs. Inadaptés. Les mêmes reproches qu’entendus au quotidien, en somme. A quelle fréquence faut-il envoyer des messages, poster des statuts sur Facebook? Quel degré de détails faut-il donner? A qui? Aucune règle écrite ne le dit. Mais nul n’est censé ignorer la convention sociale, sous peine de se voir exclure.
Un sujet de l’étude raconte par exemple qu’après un rendez-vous avec une femme, il l’a bombardée de messages. Il avait un autre ami qui faisait de même avec lui, il pensait logiquement pouvoir reproduire le même schéma. Mais la jeune femme, elle, a peu apprécié et a coupé court à leur relation. Pour éviter ce genre de situation, un autre «aspie» de l’étude explique avoir relevé combien de fois par jour chacun de ses amis Facebook postait des messages. Il a fait une moyenne des résultats et se maintient lui-même à ce niveau moyen.