Une femme qui écrit...
Quand un homme écrit sur les hommes, il écrit sur la condition humaine; quand une femme écrit sur des femmes, elle fait une littérature de femme. On ne demande jamais à un écrivain homme de situer son acte créateur à partir de son sexe; de se définir en tant qu’homme écrivant; de trouver dans sa masculinité les racines même de son désir de création. A une femme on le demande toujours, on le demande inlassablement comme si dans l’ éblouissement solaire de la création la femme éclipsait l’écrivain, comme si son oeuvre était à jamais sexuée par un féminin omniprésent ou par un refus du féminin tout aussi significatif.
perçue comme essentiellement masculine. Rare et marginalisée dans son histoire, la femme écrivain est de nos jours médiatisée en tant que femme. Comme si l’acte d’écrire était encore jugé exceptionnel, alors qu’il se banalise, aussi bien dans la réalité ( les femmes représentent en France presque trente pour cent des écrivains) que dans ses représentations symboliques. Cela fait une dizaine d’années que la femme écrivain est devenue un personnage de saga ou de feuilleton qui a remplacé les rôles traditonnellement gratifiants de «la femme qui soigne» (l’infirmière, le médecin, le chirurgien). Dans l’imaginaire populaire comtemporain, la femme qui écrit tient une place équivalente à la femme d’affaire. Les nouveaux rôles féminins se définissent autour de la puissance, de l’autorité et du pouvoir. La femme écrivain détient moins un pouvoir intellectuel qu’un pouvoir économique. Elle est toujours représentée comme un auteur de best-seller (‘Je viens d’achever mon bestseller», «Je suis en train d’écrire mon best-seller», ‘Mon éditeur attend mon nouveau best-seller») et elle tient la dragée haute à la femme chef d’entreprise. Comme elle, elle est une executive woman. Comme elle, elle n’a renoncé à aucune des armes de combat, car tout dans son attitude dit qu’elle mène un combat, celui de la féminité. Elle se doit d’être belle jeune, élégante, séduisante et séductrice. Elle est un emblème de la femme supérieure et son livre apparaît comme le symbole d’un outil de la conquête du monde masculin. Ce qui est curieux, c’est que dans ce domaine, alors que la représentation se pense révolutionnaire ou d’avant garde, rien ne semble avoir changé depuis l’origine du livre et de l’écrit. A la fin du Moyen âge, en occident, on se trouve devant une de ces grandes révolutions culturelles qui font basculer le monde, qui marginalisent une partie de la population qui s’essoufflera à rattraper, sans jamais la rejoindre, l’élite qui a défini les nouvelles règles culturelles. Le monde des savoir-faire porté par une culture orale s’efface devant le monde du savoir porté par la nouvelle culture de l’écrit. Le monde de l’oralité, si longtemps normatif (lois, traditions, justice, échanges commerciaux, littérature) se voit brusquement marginalisé, donc décrédibilisé; voire méprisé. La connaissance est désormais du domaine de l’écrit, elle est du domaine des spécialistes, les clercs, religieux et savants porteurs d’une tradition gréco-latine qui induit un rapport avec des langues savantes et des genres littéraires nobles, (Aristote reste en France, jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, le maître de la rhétorique et de l’esthétique occidentales). Ce qu’a dû représenter historiquement cette fracture, j’en ai fait l’expérience géographique dans mes nombreux et longs séjours africains où j’ai ressenti comment une culture orale massivement et traditionnellement répandue pouvait être marginalisée par les critères nouveaux de domination culturelle d’une minorité économique ou politique. Pour survivre et pour se faire entendre, le marginalisé n’a d’autre solution que de passer par les nouveaux critères. Ou il s’acculture , ou il invente sa propre expression dans la forme culturelle imposée (culture de colonisatisation) .
ne s’y risquera pas à visage découvert. Si Mademoiselle de Scudéry signe des ouvrages que l’opinion publique prête d’ailleurs à son frère, Madame de Lafayette ne met pas son nom sur la couverture de la Princesse de Clèves dont elle laisse endosser la paternité à La Rochefoucauld ou à Segrais. Si elles tiennent le haut du pavé comme maîtresses de salons littéraires, ou éminences grises de la vie littéraire, les grandes Dames du XVIIIe siècle (le siècle de la femme selon les frères Goncourt) évitent de se compromettre directement avec l’écrit. Elles continuent de se dissimuler, elles restent dans l’anonymat, inventent des pseudonymes, présentent leurs ouvrages comme des traductions. On reste fasciné par cette utilisation de la traduction et de tout ce qu’elle contient de symbolique. Dans le monde de l’écrit, une femme ne pourrait être jamais qu’une traductrice: derrière la langue étrangère supposée, il s’agit bien de traduire un monde dans une autre langue, faire connaître un autre monde qui se dit autrement. Dans la femme auteur (1804) de Madame de Genlis (1746-1830) qui fut par excellence ce qu’elle dénonce, la jeune Natalie peut à la rigueur écrire «Prenez garde, Natalie, de vous livrer imprudemment à cette passion...» mais ne doit pas publier «Mais j’espère, ma chère Natalie, que vous n’aurez jamais la tentation de faire imprimer vos écrits ! «. On la met en garde: «Ne faites donc jamais imprimer vos ouvrages, ma chère Natalie; si vous deveniez auteur, vous perdriez votre repos et tout le fruit que vous retirez de votre aimable caractère. On se ferait de vous la plus fausse idée; en vain vous seriez toujours la bonne, la simple Natalie; vos amis n’auraient plus avec vous cette aisance, cet abandon, qui naissent de l’égalité; ceux qui ne seraient pas de votre société, vous supposeraient pédante, orgueilleuse, impérieuse, dévorée d’ambition; ils le diraient du moins, et tous les sots pour lesquels l’esprit est toujours un tort, répéteraient de tels discours avec tant de plaisir et de crédulité!... Vous perdriez la bienveillance des femmes, l’appui des hommes, vous sortiriez de votre classe sans être admise dans la leur. Il n’adopteront jamais une femme auteur à mérite égal, ils en seront plus jaloux que d’un homme. Conservons entre eux et nous ces liens puissants et nécessaires, formés par la force généreuse et par la faiblesse reconnaissante: quel serait notre recours, si nos protecteurs devenaient nos rivaux! ils ne nous permettront jamais de les égaler, ni dans les sciences, ni dans la littérature; car, avec l’éducation que nous recevons, ce serait les surpasser. Laissons-leur la gloire qui leur coûte si cher, et que la plupart d’entre eux n’acquièrent qu’au prix de leur sang. littéraire laissé en friche par les théoriciens qui mettent tous leurs efforts à mettre en coupes réglées le théâtre et la poèsie, reste le genre littéraire où s’engouffrent tous ceux que séduit sa souplesse formelle, sa marginalité de mauvais aloi. Il accueille toutes les formes d’expression naturelles comme les lettres ou les faux mémoires mais une femme.