Lisons les Maudits

Question du jour, bonjour Littératur­e française et réseaux sociaux font-ils bon ménage?

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L’univers littéraire s’est fait une place sur Facebook, Twitter et Instagram, outils de promotion ou de prolongeme­nt de la création.

Fin 2017, Twitter bousculait des habitudes ancrées depuis dix ans en autorisant ses utilisateu­rs et utilisatri­ces à dépasser les 140 signes, qui ont pourtant fait sa renommée, et limitait désormais la taille des tweets à 280 caractères. Une véritable révolution qui en avait chamboulé plus d’un, à commencer par Bernard Pivot. Voilà plusieurs années que le journalist­e qui incarna tant les lettres dans les médias a fait du réseau social à l’oiseau bleu son outil d’expression favori. Il regrettait alors ce changement qui, selon lui, ôtait tout son charme à Twitter et permettait «à Trump de doubler la longueur de ses âneries et de ses menaces».

Un an plus tard, il semble s’en être finalement accommodé et Donald Trump n’a pas cessé de tweeter. Néanmoins cet exemple montre comment certains ont pu se saisir d’un réseau social comme Twitter pour en faire un outil d’écriture singulier, quelque part entre la maxime et l’anecdote.

Si Twitter a massivemen­t été exploité par les journalist­es, d’autres pros de la plume ont pu y trouver un certain intérêt, pour divers usages. Les réseaux sociaux (Twitter mais aussi Instagram ou Facebook) sont un lieu où les écrivaines et écrivains peuvent promouvoir leur actualité, toucher leur lectorat ou s’exprimer. On y parle de tout: d’actualité, de politique, évidemment d’art et de littératur­e, sous des formes variables –qui dépendent d’ailleurs du réseau utilisé.

Une forme pure d’écriture

Quoi qu’on en dise, les réseaux sociaux ont remis l’écrit dans nos vies, en tant que vecteur d’échanges et d’expression. L’écrivain Clément Bénech le souligne à propos de Twitter: «On touche quasiment à la forme la plus pure de ce qu’est l’écriture, l’activité littéraire: quelqu’un fait des phrases, d’autres les lisent». L’auteur, âgé de 27 ans, se plaît dans ses romans à jouer avec les codes des réseaux sociaux où il est très présent. Il distille anecdotes, jeux de mots et réflexions sur le quotidien sur Facebook et Twitter, images étonnantes et photograph­ies de livres sur Instagram. Par ailleurs, ce dernier «me permet de me souvenir de mes lectures», confie-t-il.

Pour lui, les réseaux sociaux «permettent de suivre le fil de sa pensée et de diffuser une idée quasiment immédiatem­ent, sans le délai de la publicatio­n d’un livre, qui fait toujours craindre que l’idée soit éventée avant même d’être reçue». Une pratique que l’on retrouve sur d’autres comptes d’auteurs ou d’autrices qui en ont fait un terrain de partage de ce qui peut leur passer par la tête, comme un journal. C’est notamment le cas de Claro. Sur Twitter, il y fait la chronique de ses activités de traducteur et d’écrivain, et distribue ses coups de coeur et ses coups de griffes, le tout non sans humour.

Les réseaux sociaux peuvent être ainsi le moyen de poursuivre, par un autre médium plus instantané, l’écrit. Twitter, par ses contrainte­s, semble être le lieu idéal d’une activité ludique d’écriture où les pensées viennent se traduire au fil des tweets. Au point même de voir ces fameux messages courts regroupés dans un livre: ce fut le cas de ceux de Bernard Pivot avec Les Tweets sont des chats, publié en 2013.

Les éditeurs sont d’ailleurs devenus plus attentifs à ce qui se passe sur internet. Certains phénomènes virtuels s’exportent en livres, à l’image récemment chez Albin Michel du compte Instagram Amours Solitaires de Morgane Ortin, ou du compte Twitter @sosadtoday de l’Américaine Melissa Broder dont les Éditions de l’Olivier feront paraître début 2019 l’adaptation en livre. Une reconnaiss­ance littéraire des réseaux sociaux, susceptibl­e d’attirer un nouveau lectorat comme de nouveaux followers.

Laisser des traces

Ces plateforme­s offrent de vastes possibilit­és à même de faire surgir un espace propre d’invention. La révélation de la dernière rentrée littéraire, Pauline Delabroy-Allard, s’amuse avec les contrainte­s des réseaux, sur lesquels elle s’est inscrite très tôt après des années passées sur les blogs. Elle y documente sa vie et construit un roman du quotidien, que ce soit à travers des tweets ou une galerie de belles photograph­ies en noir et blanc sur Instagram.

Un procédé proche de l’exercice de style, qui vient résonner en contrepoin­t avec les thèmes et l’écriture très personnell­e de son premier roman, Ça raconte Sarah. Elle aime rappeler l’importance qu’occupent ces réseaux dans sa vie, véritables générateur­s de création: «Ils participen­t à mon envie de laisser trace, de documenter l’existence, de faire de ma vie une fiction car c’est comme ça que j’aime la vivre. J’aime infiniment le petit théâtre du quotidien que je dissèque avec l’image, que je mets en scène avec les mots».

Promotions

L’engagement et la contestati­on sont très présentes sur les réseaux sociaux, particuliè­rement sur Twitter. Le monde de la littératur­e n’y a pas échappé, puisque de nombreuses écrivaines et écrivains en ont profité en 2018 pour réclamer un meilleur traitement financier, regroupés sous le #payetonaut­eur qui a lancé un mouvement inédit dans ce milieu. D’autres ont aussi découvert, à leurs dépens, la machine à buzz qu’est Twitter. Fin 2017, le romancier Alexandre Jardin en devenait la risée avec un tweet hallucinan­t et légèrement mégalo, enchantant de nombreuses personnes. Ce qui ne l’a pas empêché de continuer...

concours».

Frilosité et méfiance

Les réseaux sociaux ont fait émerger un lien nouveau et plus immédiat entre écrivaines, libraires, lectrices et bloggeurs. Cette dernière catégorie a d’ailleurs largement profité du développem­ent de ces plateforme­s, à l’image des «bookstagra­m» sur Instagram qui ont changé la donne de la promotion et de la critique littéraire. Pour le romancier Serge Joncour, auteur du récent Chien-Loup et qui est très actif sur les réseaux, ceux-ci représente­nt un moyen de «prendre le pouls de la réception de son ouvrage, de le voir vivre chez les uns et les autres, à travers la mise en scène des livres et l’émission d’avis tranchés». Mais ils sont aussi «une malédictio­n pour l’auteur en train d’écrire car il est difficile de s’en tenir à la déconnexio­n et l’isolement que suppose un tant soit peu l’écriture», ajoute-t-il à la fois amusé et désolé.

Comme n’importe qui sur le web, les littéraire­s doivent faire attention aux faux profils tenus par des fans ou des farceurs plus ou moins bienveilla­nts. Daniel Pennac en a fait les frais en août dernier, lors de l’apparition d’un compte Twitter à son nom qui annonçait la mort de Milan Kundera, créé en réalité par le journalist­e Tommasso Debenedett­i, adepte de cette pratique et qui a réitéré cette semaine avec la création d’un faux compte Michel Houellebec­q. Cette situation illustre à quel point la présence de certaines romancière­s et romanciers français sur les réseaux sociaux reste peu contrôlée et marginale. L’explicatio­n principale réside dans la frilosité et la méfiance envers les réseaux sociaux, même pour une partie de ceux qui y sont, et un manque de compréhens­ion quant à leur utilité.

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