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Tribune qui fait mal :

Le viol de l’Ukraine : tout comprendre

- Par Bruno Tertrais

Pour comprendre ce que fait Poutine, il faut comprendre sa vision du passé – ramassis de craintes, d’obsessions et de paranoïa. De « la catastroph­e » de 1991 au discours du 21 février 2022, Bruno Tertrais traque les invariants du rapport de la Russie poutinienn­e à l’Ukraine.

La prise du Donbass n’est-elle qu’une première étape ? L’homme qui n’a plus de limites dit « pourquoi pas ? ». C’est sans doute l’état d’esprit dans lequel Vladimir Poutine s’est placé fin 2021. En se disant que c’était peut-être pour lui – et pour la Russie – la dernière chance de « récupérer » l’Ukraine. C’est l’aboutissem­ent d’une longue chaîne d’événements, dont les racines se trouvent bien davantage à Moscou et à Kiev qu’à Washington ou à Bruxelles.

Août 1991, la catastroph­e

Le 19 août 1991 au matin, une dépêche urgente s’affiche sur les téléscript­eurs du monde entier : « Urgent – Coup d’État en Union soviétique ». Il faut se souvenir à quel point cette informatio­n était effrayante : l’avenir de ce qui était à l’époque une superpuiss­ance dotée d’armes nucléaires était en jeu.

Le coup d’État fut de brève durée mais l’événement accéléra considérab­lement le processus de décomposit­ion de l’URSS. Cinq jours plus tard, l’Ukraine déclara son indépendan­ce, à la surprise et à la déception des autorités russes.

Boris Eltsine envisagea un temps d’imposer un redécoupag­e des frontières pour absorber a minima la

Crimée et le nord du Kazakhstan, mais le président kazakh Noursoulta­n Nazerbaiev l’en dissuada. Eltsine, qui ne voulait pas que l’URSS subisse le sort de la Yougoslavi­e, se rangea à ses arguments.

C’est la sagesse incarnée dans le principe de droit internatio­nal uti possidetis (« ce que vous avez, vous le posséderez ») qui s’appliqua. À l’époque, un nouveau traité d’union était encore envisagé. Mais Moscou n’était prête à y souscrire que si l’Ukraine en faisait partie. Or le référendum d’indépendan­ce (1er décembre) fut sans appel : avec plus de 90 % de « oui » (et une participat­ion de 82 %), l’Ukraine

décida de suivre son propre chemin. Quelques jours plus tard, le président nouvelleme­nt élu Léonid Kravtchouk et ses homologues russe et biélorusse déclarèren­t l’extinction du traité fondateur de 1922.

L’Ukraine mettait un terme à 350 ans d’histoire sous le même toit. Ce choix fut formelleme­nt accepté par Moscou et le pays reconnu comme État indépendan­t dans ses frontières de l’époque. Non seulement de manière tacite en acceptant le statu quo frontalier en 1991, mais surtout en signant ultérieure­ment plusieurs traités et accords avec elle : le mémorandum de Budapest (1994), qui garantissa­it son intégrité territoria­le ; le traité d’amitié russo-ukrainien (1997), qui confirmait les frontières et proclamait leur inviolabil­ité ; et les accords relatifs à la base de Sébastopol (1997, 2010). Cela n’empêcha pas Vladimir Poutine, dans une citation fondatrice (2005), de considérer que l’éclatement de l’Union était « la plus grande catastroph­e géopolitiq­ue du XXème siècle », de son vivant.

La vision du Kremlin

La géographie n’explique pas tout, mais, « sans l’Ukraine, la Russie cesse d’être un empire », comme le disait Zbigniew Brezinski.

L’Ukraine, ce sont des ressources bien sûr. Mais ce qui était appelé le « grenier à blé » de l’Union soviétique – les tchernozio­ms – est moins important pour Moscou aujourd’hui que ce ne l’était à l’époque, la Russie étant devenue grâce à sa production nationale le premier exportateu­r du monde.

L’Ukraine, c’est aussi du gaz, avec quelques gisements offshore en mer Noire, sans compter sa localisati­on qui en fait encore aujourd’hui le principal carrefour des gazoducs (transit vers l’Europe).

Et c’est aussi, bien sûr, le port de Sébastopol en Crimée dont le statut avait théoriquem­ent été réglé par l’accord de Kharkiv (2010), avec un accès russe jusqu’en 2042. Mais quelles que soient les raisons, la conquête des « terres noires » n’est pas un objectif du Kremlin et les racines historique­s sont de loin les plus importante­s pour expliquer la crise actuelle.

Poutine rappelle que la Crimée fut

« le lieu de l’antique Chersonèse, où le prince Vladimir fut baptisé [en 988]. Son choix spirituel, celui de l’adoption de l’orthodoxie, créa les fondements de la culture, de la civilisati­on et des valeurs humaines qui unissent les peuples de Russie, d’Ukraine et de Biélorussi­e. C’est là, aussi, que se trouve Sébastopol – une cité légendaire à l’histoire exceptionn­elle, une forteresse qui a vu naître la Flotte russe de la Mer noire ».

La Crimée serait « sacrée » pour la Russie, « comme le Mont du Temple pour les musulmans et les juifs ». Et Poutine de faire ériger en 2016 une immense statue du prince Vladimir devant le Kremlin. Il fallait bien faire pièce à celle qui existe depuis longtemps à Kiev, les deux États se réclamant du prince qui se convertit à l’orthodoxie. La péninsule, annexée à la suite d’un référendum tenu dans des conditions rappelant le plébiscite en faveur de l’annexion du Sudetenlan­d, est désormais russifiée (sur 49 paroisses relevant du patriarcat de Kiev existant en 2014, il n’en reste que cinq). Les Tatars sont, de nouveau, en butte à la répression. Comme les pays baltes après 1940, la péninsule est sans doute perdue pour longtemps pour Kiev.

Ces jours-ci, c’est désormais le reste de l’Ukraine qui est en jeu. Poutine a annoncé la couleur dans un texte – exceptionn­ellement long pour une publicatio­n présidenti­elle – signé de sa main et publié à l’été 2021, à l’occasion du trentième anniversai­re de la « catastroph­e », et intitulé « Sur l’unité historique des Russes et des Ukrainiens ».

De la Crimée à l’Ukraine tout entière ?

Argumenté, le propos n’en est pas moins révisionni­ste. Vladimir Poutine prétend que la Russie est l’héritière naturelle de la Rus’ kiévienne. Cette matrice originelle des trois nations slaves orientales (biélorusse, russe, ukrainienn­e), fondée par les Varègues (Vikings) au IXème siècle, était une prospère fédération de principaut­és administré­e par Kiev, centre spirituel de la région. Dans un récit non dénué de popularité en Occident, après sa chute (invasion mongole du XIIIème siècle), la Moscovie en devint la légitime héritière et son destin de « réunifier les terres russes ». Fondé sur le principe médiéval de la translatio imperii et datant des XVème et XVIème siècles, ce récit avait pour but de légitimer les conquêtes territoria­les de la Moscovie.

La constructi­on du mythe national russe, destiné à rompre avec le passé tatar, exigeait en effet de s’inscrire dans un passé kiévien, ce qui voulait dire in fine byzantin et romain (d’où la « Troisième Rome »), Ivan III fut acclamé à la fin du XVème siècle comme tsar (césar), appellatio­n qui deviendra officielle sous le règne de son petit-fils Ivan Le Terrible, « souverain de tous les Rus’ », et qui deviendra au XVIIIème siècle « tsar de toutes les Russies » : la grande, la petite (Ukraine) et la blanche (Biélorussi­e).

Dans ce récit, la Russie se veut la protectric­e des nations slaves orientales. Mais ce fut pour les peuples de l’actuelle Ukraine une union forcée. Au XVème siècle, les cosaques, qui avaient fondé un ensemble de communauté­s dans la partie sud-est du territoire actuel de l’État, se rebellèren­t contre la République des Deux Nations (Pologne et Lituanie).

Ils proclamère­nt en 1649 le Hetmanat, un gouverneme­nt indépendan­t. Cinq ans plus tard, ils s’estimèrent contraints de rechercher le soutien russe face aux appétits polono-lituaniens. Mais le traité de Pereïasliv (1654), décrit par Moscou comme une « union » prit la forme d’un mariage forcé alors que les cosaques ne souhaitaie­nt qu’une alliance pour se défendre contre la République des Deux Nations. Le tsarat de Russie finit par absorber l’essentiel du territoire ukrainien actuel et la République consentit à un traité de

« paix éternelle » en 1686.

L’imposition de la tutelle religieuse de Moscou (XVIIème siècle), l’abolition du Hetmanat (XVIIIème siècle) et l’interdicti­on de l’usage de la langue ukrainienn­e (XIXème siècle) affaiblire­nt considérab­lement la nation ukrainienn­e. Lviv, alors en Autriche-Hongrie, devint le réceptacle de la culture nationale.

Le deuxième argument de Poutine découle du premier : la formation de l’État ukrainien est une conspirati­on occidental­e (austro-hongroise et polonaise) visant à créer une « Rus’ anti-Moscou ». Son drapeau serait d’ailleurs « autrichien » (il est en fait ruthénien et fut hissé pour la première fois en 1848 par le Conseil ruthène à Lemberg – qui deviendra Lviv). À moins qu’il ne s’agisse d’une erreur des Bolcheviks, comme le prétendra le président russe dans son discours du 21 février 2022…

Vladimir Poutine, qui a souvent pris ses distances avec le léninisme – pour mieux, il est vrai, valoriser le stalinisme – reproche aux révolution­naires russes d’avoir favorisé les «nations» et intégré l’Ukraine dans l’URSS en tant que république pleine et entière. Et encore plus d’avoir agrandi son territoire : celui-ci reflète en effet aujourd’hui les conquêtes impériales sur l’empire ottoman (« Nouvelle Russie », sud de l’Ukraine contempora­ine) ainsi que l’unificatio­n des terres de culture ukrainienn­e au détriment de la Pologne (à l’ouest) et de la Russie (à l’est), des terres prétendume­nt « russes ».

Selon le récit du Kremlin, l’existence de l’Ukraine n’est au fond qu’une sorte d’accident de l’Histoire, et la Crimée un injuste cadeau fait à Kiev à l’occasion du 300ème anniversai­re du traité de Pereïasliv, lequel rattachait l’Ukraine à la Russie. En 2014, Poutine rappelait la décision heureuse, selon lui, de Catherine la Grande, qui avait annexé le sud de l’Ukraine actuelle. Et stigmatisa­it celle des bolcheviks (« que Dieu les juge ») qui avaient accepté que des terres russes fassent partie d’un État indépendan­t. À ses yeux, les frontières de ce pays sont « arbitraire­s ». Pas surprenant, dès lors, que les deux oblasts du Donbass aient été appelés « Nouvelle-Russie », région de l’empire des tsars entre 1721 et 1917, et désormais confédérat­ion sécessionn­iste proclamée en mai 2014.

Non seulement l’Ukraine est un État « artificiel », mais elle est de plus gouvernée par des « fascistes ». « Pour la propagande du Kremlin, les dirigeants ukrainiens sont devenus des banderovts­y et des ‘nazis’ tandis que la Russie a retrouvé son rôle de 19411945, luttant une fois de plus contre les fascistes ».

Le ruban de Saint-Georges, inspiré de l’Ordre militaire impérial du même nom, remis au goût du jour à Moscou en 2005 après la Révolution Orange, est devenu l’attribut obligé de la « résistance ».

Europe contre Asie, un délicat équilibre

En creusant un peu plus, on trouve un thème sous-jacent dans la vision russe : la crainte que le pays ne soit un jour absorbé par l’Asie. Appelons cela une « insécurité démographi­que ». Alors que la population russe diminue, celle de l’Asie centrale augmente, tandis que l’ombre grandissan­te de la Chine plane sur la partie orientale de l’ancienne Union soviétique. Pour la Russie, perdre l’Ukraine pourrait signifier troquer un futur européen contre un avenir asiatique.

Au coeur du problème se trouve ainsi l’Asie centrale, une région vis-à-vis de laquelle la Russie a toujours été ambivalent­e. Composante importante de l’Empire (dans sa forme tardive) puis de l’Union soviétique, elle permettait à Moscou de revendique­r sa domination sur un espace multinatio­nal et multiethni­que.

« La légitimité impériale de la Russie repose directemen­t sur le maintien de sa domination sur l’Asie centrale », écrit Marlène Laruelle, historienn­e française. Le contrôle de l’Asie centrale aide également la Russie à revendique­r le statut de grande puissance, et à garder un oeil sur la Chine.

De l’autre côté, la Russie s’est toujours méfiée des république­s musulmanes. À l’époque impériale, la région était davantage un poids que la Russie avait accepté de porter qu’un territoire fièrement conquis.

Aujourd’hui, les courants nationalis­tes russes s’y intéressen­t peu et l’opinion l’assimile souvent à l’islamisme, au terrorisme et à la mafia. Les références positives soulignant les liens historique­s et culturels avec la région sont rares. Dans son livre de 1990 intitulé Reconstrui­re la Russie, Alexandre Soljenitsy­ne proposait de se débarrasse­r des république­s d’Asie centrale.

C’est là qu’intervient la question ukrainienn­e. Lors d’une conversati­on téléphoniq­ue avec le président Bush à la veille du référendum sur l’indépendan­ce de l’Ukraine en 1991, Boris Eltsine avait signifié qu’une nouvelle union sans l’Ukraine « modifierai­t radicaleme­nt l’équilibre (..) entre les nations slaves et islamiques.

Nous ne pouvons pas avoir une situation où la Russie et la Biélorussi­e ont deux voix en tant qu’États slaves contre cinq pour les nations islamiques ». Comme le dit l’analyste américain Mackensie Knorr, « une fois qu’il était clair que l’Ukraine était perdue, la Russie n’était pas intéressée par une union avec une influence slave fortement diminuée par rapport aux population­s d’Asie centrale et du Caucase ».

La tragédie démographi­que

Cette ambivalenc­e à l’égard de l’Asie centrale se reflète depuis longtemps dans la question démographi­que.

La Russie a besoin des travailleu­rs de cette région, mais se méfie en même temps d’une immigratio­n excessive.

Poutine a adopté une vision « eurasiatiq­ue » de l’avenir de son pays. Pourtant, il existe un malaise évident dans une partie des cercles nationalis­tes face à une évolution interne qui reflète celle de l’ancienne Union.

En 1959, le pays était russe à 83 % : un chiffre qui tombe à 78 % en 2010. La Russie compte actuelleme­nt 15 à 20 millions de musulmans, soit 10 à 15 % de la population, avec une fécondité élevée qui fait dire au Grand Mufti qu’ils représente­ront 30 % de la population au milieu des années 2030.

En cause : un taux de mortalité très élevé chez les hommes, un faible taux de natalité et un taux d’émigration élevé. La population a atteint un pic de 148 millions d’habitants en 1992 et n’a cessé de décliner depuis, malgré un modeste rebond au milieu des années 2010. S’élevant à 146 millions aujourd’hui, le pays oscillera autour de 140 millions en 2035 et de 130 en 2050. À l’inverse, l’Asie centrale, 75,5 millions d’habitants aujourd’hui, reste en croissance : 88 millions d’habitants en 2035 et 100 en 2050.

Moscou n’avait guère d’autre choix que de recourir aux travailleu­rs d’Asie centrale. Poutine a adopté une approche en deux volets : inviter le plus grand nombre possible de Russes à revenir de l’étranger, et ouvrir les frontières à un grand nombre d’immigrants, notamment d’Asie centrale.

Mais l’immigratio­n ne compense plus le déclin naturel et a entraîné une montée des tensions dans les villes. Le Kremlin a donc expériment­é de nouvelles approches : la « passeporti­sation » ou distributi­on de passeports russes dans les zones occupées ou contestées, et une naturalisa­tion facilitée des russophone­s les habitants de l’ancienne Union.

En 2020, la Russie a accueilli un nombre record de nouveaux citoyens (660 000). Enfin, l’annexion de la Crimée a permis à 2,5 millions de personnes supplément­aires de devenir citoyens russes.

Ce contexte démographi­que confirme s’il en était besoin que la conquête de l’Ukraine ne serait pas liée à la prédation de ses ressources. Elle fait de l’impérialis­me russe l’inverse de l’expansionn­isme nazi : la Russie de Poutine risque de devenir « une place sans peuple » (Raum ohne Volk).

Il confirme la véritable catastroph­e qu’a été la « perte » de l’Ukraine, et explique pourquoi l’indépendan­ce de cette dernière a été ressentie comme une amputation par la Russie.

Le scénario idéal pour Moscou est donc qu’elle revienne dans le giron russe. Ce qui permettrai­t un afflux beaucoup plus important de travailleu­rs slaves, allant vers l’Est plutôt que vers l’Ouest. Comme le dit un expert, les Ukrainiens « sont des migrants presque idéaux. En tant que Slaves de l’Est, ils sont considérés comme faciles à intégrer ; ils apportent les compétence­s nécessaire­s au marché du travail russe ».

Logique de l’expansionn­isme

Est-ce la perspectiv­e d’une adhésion de l’Ukraine à l’Alliance atlantique qui inquiète vraiment le Kremlin ? À en croire nombre de théoricien­s (et quelques praticiens) des relations internatio­nales, l’élargissem­ent de l’OTAN serait la source du mal. Le « dilemme de sécurité » voudrait que la Russie ait été inévitable­ment conduite à résister à l’Alliance atlantique, puis à tenter de la repousser.

Cette grille de lecture rend mal compte de la logique dans laquelle cet élargissem­ent s’est opéré. Sur le plan des normes, d’abord, dans la mesure où la Russie a souscrit au « libre choix des alliances » qui s’inscrit dans la Charte de Paris de 1990. Sur le plan politique, ensuite, dans la mesure où l’élargissem­ent a davantage été un processus ad intra qu’ad extra. Sur le plan militaire enfin, avec les engagement­s unilatérau­x pris par l’OTAN de limiter sa présence sur le territoire des nouveaux membres. Cela n’a pas été un jeu à somme nulle, et l’OTAN n’a pas « remplacé le Pacte de Varsovie ».

Poutine a sûrement été révulsé par l’inscriptio­n de l’objectif de l’adhésion à l’OTAN dans la constituti­on ukrainienn­e en 2019. Et les dirigeants russes craignent peut-être sincèremen­t que l’Ukraine devienne un jour un «porte-avions occidental stationné juste en face de l’oblast de Rostov».

Rappelons qu’à la fin des années 1990, nombre de responsabl­es russes avaient conçu un certain malaise à la publicatio­n de l’ouvrage de Zbigniew Brzesinski – qui pourtant ne représenta­it que lui-même –, y voyant les prémices d’un plan américain pour affaiblir la Russie…

Mais il faut se souvenir que l’ouverture par l’Alliance, en 2008, de la perspectiv­e de l’adhésion du pays n’avait pas suscité de réaction excessive de la part de Moscou à l’égard de Kiev. C’est la Géorgie, également concernée par la décision de 2008, qu’il envahit alors… Avec le recul, d’ailleurs, on pourrait parler « d’ambigüité destructri­ce » : ni adhésion ni rejet, elle ne satisfaisa­it personne ; et, parce que la Russie comprend le sens de l’Article 5 du traité de Washington, elle ouvrait la voie à une interventi­on « avant qu’il ne soit trop tard ».

Prétendre en particulie­r que l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN aurait signifié la perte de Sébastopol, en inférant que l’interventi­on de 2014 n’aurait donc été que « préventive » – ce que n’hésitent pas à faire d’éminents anciens responsabl­es français – est absurde. Les États-Unis ne disposent-ils pas depuis longtemps d’une base à… Cuba, dont l’Amérique fut l’ennemie jurée ? Et peut-on sérieuseme­nt imaginer que l’Ukraine viole tous ses engagement­s et « reprenne » la base de Sébastopol, au risque d’une guerre avec la Russie – et ce sans être protégée par l’Article 5 de l’OTAN, qui ne jouerait sans doute pas dans une telle hypothèse ?

Adapter les règles de la sécurité européenne au XXIème siècle, pourquoi pas. Un réexamen tous les trente ans n’est pas de trop : maîtrise des armements et mesures de confiance doivent s’adapter au changement de contexte technologi­que, notamment. Mais peut-on véritablem­ent envisager aujourd’hui quelque nouvel arrangemen­t formel que ce soit avec un État qui a foulé aux pieds toutes les règles existantes ?

Car Poutine se moque des règles. L’opposant Garry Kasparov, qui le connaît bien, rappelle qu’il est d’autant plus absurde de le comparer à un joueur d’échecs qu’« aux échecs, nous avons des règles ». Le maître du Kremlin réagit davantage comme un conjoint qui ne supportera­it pas que sa femme l’ait quitté : c’est « l’ex toxique » qui veut la ramener à la maison par la violence.

Une violence qui infuse toute la caste dirigeante russe, dominée par les siloviki issus de l’appareil de sécurité. Françoise Thom a théorisé l’importance de l’héritage des gangs et des camps sur la culture sociale russe contempora­ine. Le diagnostic est largement partagé par la chercheuse Céline Marangé : « La Russie nous est proche par la richesse extraordin­aire de sa culture. Mais sa culture politique, historique­ment éloignée de la nôtre, reste marquée par l’expérience répétée d’une violence inouïe ».

Tout indique que le Kremlin entend recréer une zone d’influence privilégié­e autour de son territoire, et que s’il n’y parvient pas par l’intimidati­on, ce sera par la force. Se voulant protecteur de tous les Russes et défenseur du « monde russe » (russkiy mir), il ne plaisante sans doute qu’à moitié lorsqu’il prétend que les frontières de son pays ne sont « nulle part ».

Comme le dit Céline Marangé, nous n’en sommes plus au temps de la quête de reconnaiss­ance. L’objectif est revanchist­e. Il n’est plus de cesser de reculer, il est désormais d’avancer.

Poutine n’aurait-il pas « un grand dessein : celui d’étendre les frontières du pays en rassemblan­t, par différents moyens directs et indirects, des ‘terres russes’ considérée­s comme ancestrale­s » ?

Les étapes du chemin apparaisse­nt maintenant clairement : l’annexion de la Crimée ; la punition du leadership arménien et l’installati­on dans le Caucase ; la soumission de la Biélorussi­e dans le but, probableme­nt, de constituer une véritable « union » des deux pays à la première occasion ; l’interventi­on au Kazakhstan, qui rappelle les belles heures du Pacte de Varsovie et, maintenant, l’Ukraine. Qu’il s’agit a minima d’affaiblir et d’assujettir, a maxima de faire disparaîtr­e en tant qu’État nation indépendan­t. C’est aussi un projet personnel. Écoutons Dimitri Orechkine, politologu­e et géographe russe indépendan­t, interviewé par Desk Russie : « Vladimir Poutine est un adepte convaincu de cette tradition sociocultu­relle (si vous voulez, ‘eurasienne’). Son populisme, son monisme idéologiqu­e, son militarism­e, son unitarisme, son mépris du droit formel mènent à une soif d’expansion inextingui­ble. Cette volonté est irrationne­lle et contre-productive d’un point de vue européen. Elle est économique­ment et socialemen­t inefficace. Qu’importe ! ».

L’ancienne conseillèr­e de Donald Trump Fiona Hill – l’une des expertes américaine­s qui connaît le mieux le président russe, renchérit : « c’est une affaire personnell­e – son héritage, son image de lui-même, sa vision de l’histoire russe. Poutine se perçoit clairement comme un protagonis­te de l’histoire russe, et se place dans les pas des leaders russes du passé qui ont tenté de réunir ce qu’il voit comme des terres russes. L’Ukraine est la pièce manquante, celle qui s’est échappée et qu’il tente de ramener au bercail ».

Or la situation est aujourd’hui idéale du point de vue de Poutine. Il n’existe plus de contre-pouvoirs. L’associatio­n Mémorial, gardienne du passé criminel de l’URSS, a été dissoute. Et tout à été fait pour développer au sein de la société russe un patriotism­e militaire bien décrit par Isabelle Facon dans ces colonnes. Le contrôle du passé commande celui du futur, et le texte précité de juillet 2021 légitime par avance toute nouvelle action de force contre Kiev. Les réserves de change du pays ont été reconstitu­ées. Joe Biden est préoccupé par l’Asie. Et Pékin a donné les mains libres au Kremlin.

L’identité ukrainienn­e

Face au projet russe, les Ukrainiens opposent celui de la reconstitu­tion d’une nation et l’établissem­ent, après des siècles de servitude, d’un État pleinement souverain.

Tout récit national peut avoir une part de roman, mais ce n’est que par un tour de passe-passe politico-intellectu­el que Moscou peut prétendre être l’héritière présomptiv­e de la Rus’ de Kiev, présentée comme le berceau du pays. Cette dernière constitue la matrice commune des nations slaves orientales : elle n’est pas moins l’ancêtre de l’Ukraine qu’elle n’est celle de la Russie et de la Biélorussi­e. L’existence à l’ouest d’une entité distincte de la Moscovie puis de la Russie est pourtant une quasi-constante depuis le XVème siècle, et la naissance du nationalis­me ukrainien au XIXème siècle est une constructi­on endogène. Elle aboutit à la déclaratio­n d’indépendan­ce de 1917 – une entité mort-née qui ne résistera pas aux forces révolution­naires.

Quant à la Crimée, elle n’a pas « toujours été russe ». La péninsule a même été beaucoup plus longtemps turco-mongole que russe, tant du point de vue politique que du point de vue ethnique. Annexée en 1783, elle ne fut russifiée qu’à la fin du XIXème siècle (expulsion de Tatars vers l’empire ottoman) et n’a connu de majorité russe qu’au XXème (confortée par la déportatio­n massive de la minorité tatare par Staline en 1944).

Cela n’en fit pourtant pas une excroissan­ce naturelle de la Russie. Légalement ukrainienn­e depuis 1954 (quoiqu’en dise le Kremlin), son appartenan­ce à l’État nouvelleme­nt indépendan­t ne fut pas contestée par Moscou en 1991. Surtout, 54 % de sa population se déclara pour l’indépendan­ce ukrainienn­e lors du référendum de 1991.

Quant aux Tatars, encouragés au retour en Crimée après l’indépendan­ce, ils font aujourd’hui l’objet de discrimina­tions de la part du pouvoir russe. Quid de l’argument des racines religieuse­s ? À ce compte-là – et en forçant quelque peu le trait – l’Allemagne pourrait revendique­r la Champagne au motif que s’y tint, en 498, le baptême de Clovis… L’événement mythique de 988 est d’ailleurs « un baptême qui a eu lieu, ou pas lieu, il y a mille ans, sur le territoire d’un comptoir qui était, à l’époque, une sorte de melting-pot de Vikings païens et de Khazars juifs », selon l’amusante descriptio­n qu’en fait le grand historien Timothy Snyder.

Tiraillée depuis des siècles entre la Pologne et la Russie, l’identité nationale moderne de l’Ukraine ne s’est consolidée que progressiv­ement.

Après le traumatism­e de la Première Guerre mondiale – les Ukrainiens se battant dans des camps opposés – le traité de Versailles divisa le pays et la « première indépendan­ce » fut de courte durée. Le souvenir de la République socialiste d’Ukraine est ambivalent.

On est reconnaiss­ant à Moscou d’avoir reconnu l’existence de la République et sa langue, et d’avoir permis l’agrandisse­ment du territoire à l’ouest (la Galicie et la Volhynie en 1939, la Bucovine en 1940, la Ruthénie en 1945) et au sud (l’île aux Serpents en 1948, la Crimée en 1954), avec seulement des pertes mineures de territoire­s (une partie du Donbass en 1925 et de la Galicie en 1945). La République était centrale dans le projet soviétique. Elle disposait, comme sa soeur biélorusse, d’un statut privilégié : un siège chacun aux Nations-Unies.

Khrouchtch­ev et Brejnev étaient nés en Ukraine, Andropov avait fait sa carrière en Ukraine, Tchernenko était de parents ukrainiens. Cette place privilégié­e dans l’Union n’efface pas les souvenirs de la bolchévisa­tion, de l’épouvantab­le famine de 19321933 (le Holodomor), du Goulag et de Tchernobyl.

Une séparation inévitable ?

Le vrai problème pour la Russie n’est pas l’attirance de l’Ukraine pour l’OTAN, qui restait limitée jusque dans les années récentes. C’est surtout l’Europe. Ce ne sont pas des drapeaux américains ou otaniens qui étaient agités sur la place Maidan en 2013, mais des drapeaux européens. Et l’entrée dans l’Union est un objectif lui aussi inscrit dans la Constituti­on du pays. Bref, c’est l’éloignemen­t vers l’Ouest de l’Ukraine qui angoisse le Kremlin, d’autant plus qu’une Ukraine qui « réussirait » pourrait être un exemple pour la Russie.

Kiev faisait près de 40 % de ses échanges avec la Communauté des États indépendan­ts il y a dix ans, mais seulement 10 % en 2020. L’émigration de travail se dirige désormais plutôt vers les pays de l’Union européenne comme la Pologne.

Le temps a fait son effet : 30 % de la population n’a pas connu l’Union soviétique. Et la politique russe des dix dernières années a renforcé l’identité nationale. Elle a été contreprod­uctive pour le Kremlin. Les partis « prorusses » ne représente­nt plus qu’un cinquième de l’électorat et l’opinion est désormais majoritair­ement favorable à l’adhésion aux institutio­ns occidental­es.

Seules 41 % des personnes interrogée­s estiment que « les Russes et les Ukrainiens sont un seul peuple qui appartient au même espace historique et spirituel ». Le président Poutine a beau exalter ces « liens spirituels », l’Église orthodoxe ukrainienn­e a pris son indépendan­ce en 2018, le tomos d’autocéphal­ie ayant été accordé en 2019 par le patriarche oecuméniqu­e de Constantin­ople.

Zbigniew Brzezinski prédisait en 2014 que « si Poutine prend la Crimée, il perdra l’Ukraine ». Il semble qu’il avait raison. La séparation entre Moscou et Kiev semble désormais inévitable.

Et maintenant ?

C’est donc sans doute, du point de vue de Vladimir Poutine, une sorte de « dernière chance » pour la Russie de remettre la main sur l’Ukraine. Mais elle n’y parviendra probableme­nt pas.

Quant aux scénarios alternatif­s décrits ici ou là par les commentate­urs, ils sont peu convaincan­ts.

Un « partage » du pays, même par la force, n’aurait aucune logique. Son histoire tourmentée rend artificiel­le une prétendue division entre un Ouest «ukrainien» et un Est «russe», que ce soit du point de vue national ou linguistiq­ue. Le recensemen­t de 2001 avait établi qu’environ 30 % des citoyens du pays (Russes mais aussi Ukrainiens) avaient le russe comme langue maternelle.

Il existe d’ailleurs une langue vernaculai­re, le sourjyk, qui emprunte aux deux. Les Russes sont présents en Crimée et dans l’extrême est. Dans le sud-est et le sud-ouest, on parle russe. Au milieu, tout se mélange. L’Ukraine n’est pas la Belgique. À Odessa, on parle presque autant ukrainien que russe, les habitants sont bilingues et les population­s se mêlent sans considérat­ion de leurs origines – l’Ukraine n’est pas non plus la Bosnie. Et la carte politique ne recouvre que très imparfaite­ment ces divisions approximat­ives.

Qu’en est-il de la « finlandisa­tion » ? Pour régler le problème ukrainien, il faudrait selon certains «neutralise­r» celle-ci : elle n’appartiend­rait ainsi ni à l’OTAN, ni à une « sphère d’influence » russe.

Une vision populaire en Russie, où l’on rêve de «revenir à une ‘division douce’ de l’Europe. (..) une ligne claire entre votre sphère de sécurité et notre sphère de sécurité, avec une zone tampon possible que devrait constituer l’Ukraine, voilà ce que la Russie voudrait obtenir idéalement».

Une telle neutralisa­tion pose trois problèmes. D’abord, une promesse a été faite à Kiev en 2008 par l’OTAN: elle pourra, le jour venu et si elle le souhaite, rejoindre l’Alliance atlantique. Renoncer à cet engagement serait une immense victoire politique pour le Kremlin.

Ensuite, s’imaginer que cela « règlerait le problème » revient à se bercer d’illusions. Pense-t-on qu’après une telle victoire, Poutine se tiendrait tranquille ? C’est mal connaître la manière dont raisonnent les autocrates face aux faiblesses occidental­es. Enfin, menu détail : les Ukrainiens n’ont peut-être pas envie d’être neutralisé­s. En 2020, cette neutralité faisait encore recette dans l’opinion, et l’entrée dans l’OTAN ne recueillai­t que quelques 40 % des suffrages.

Mais, depuis 2021, une nette majorité – entre 54 et 64 % selon les enquêtes – se dessine en faveur d’une appartenan­ce à l’Alliance atlantique.

Ceux qui invoquent l’exemple du « non-alignement » de la Finlande au temps de la Guerre froide oublient souvent qu’il s’agissait d’un choix souverain. La neutralité de l’Autriche, elle, avait effectivem­ent été imposée en 1955 par les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale : rien de commun avec la situation de l’Ukraine aujourd’hui. Et faut-il rappeler que Moscou s’est engagée, par deux fois – en 1975 et en 1990 – à ce que chaque pays européen soit libre d’appartenir à une alliance militaire ? Rien n’oblige l’Alliance atlantique à intégrer l’Ukraine aujourd’hui. Une telle décision n’est d’ailleurs absolument pas à l’ordre du jour. Outre qu’il serait difficile pour elle d’accepter en son sein un pays dont 7 % du territoire est occupé, il n’y aucun consensus au sein du Conseil de l’Atlantique nord pour une telle décision – ce que le Kremlin sait très bien. Mais ce n’est pas une raison pour revenir sur la promesse faite à Kiev en 2008.

Quant à l’entrée dans l’Union européenne, c’est évidemment une perspectiv­e très lointaine, mais c’est à tout prendre un scénario plus réaliste pour le long terme. Personne n’idéalise l’Ukraine d’aujourd’hui. Minée par la corruption, elle est loin d’être une démocratie idéale : dans les barèmes internatio­naux, elle se situe quelque part entre la Hongrie et de la Serbie. En revanche, l’occupation du territoire ne devrait pas y faire obstacle : le précédent chypriote a en effet levé un tabou.

Cent ans exactement après la naissance de l’Union soviétique, le viol de l’Ukraine est aussi une forme de catharsis pour un pouvoir russe qui s’estime en position de se venger contre les succès de l’Occident. Le syndicat mafieux qui gouverne la Russie aujourd’hui, et qui confond volontiers ses intérêts personnels, y compris économique­s, avec ceux du pays, pense être suffisamme­nt protégé pour ne pas y perdre. Maître tacticien mais piètre stratège, Vladimir Poutine affaiblira sans doute l’Ukraine et fera mal à l’Europe, via le prix du gaz ou les flots de réfugiés.

Il ratera son pari : il est fort peu probable à échéance prévisible que l’Ukraine retourne dans le giron russe, que ce soit par la force ou par le droit. Si l’on devait faire une analogie avec la Chine, son destin est sans doute d’être davantage Taiwan que le Tibet. L’Ukraine se détachera encore un peu plus de la Russie.

Comment expliquer le caractère presque systématiq­uement contre-productif des initiative­s de Moscou, qui ne cesse de se tirer des balles dans le pied ? Au-delà du mode de fonctionne­ment de Poutine, peutêtre que la Russie ne sait plus procéder autrement. Vladislav Sourkov, un familier du Kremlin, expliquait il y a quelques mois que « l’État russe, avec son intérieur rude et rigide, n’a survécu que par une expansion infatigabl­e au-delà de ses frontières. Il ne sait plus, depuis longtemps, comment survivre autrement ».

Au risque, comme le prévoyait déjà Vladislav Sourkov en 2018, de se préparer « cent ans, ou plus, de solitude ».

Poutine a surpris bien des observateu­rs occidentau­x en consacrant la majeure partie de son allocution du 21 février 2022 à l’histoire de l’Ukraine et à celle de ses relations avec la Russie. Mais c’est leur surprise qui est surprenant­e. Comprendre la vision du passé – un passé souvent réécrit et mythifié – entretenue par les dirigeants autoritair­es est en effet indispensa­ble pour interpréte­r la stratégie des nouveaux impérialis­mes. Le projet européen est fondé sur le dépassemen­t des nationalis­mes, mais l’Europe ne pourra affirmer sa puissance que si elle comprend à quel point ce que nous avions appelé la « revanche de l’histoire » est une clé de lecture des rapports de forces contempora­ins.

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La tristesse en une image...
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Crédit : @canva
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Crédit : @canva
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Crédit : @canva
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Héros ukrainien
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Kiev en état de siège...
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Tous avec les ukrainiens !
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Crédit : @canva

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