L'Obs

10 choses à savoir sur… Leïla Slimani

Avec son roman « Chanson douce », cette FrancoMaro­caine de 35 ans est la douzième femme à avoir décroché le prix Goncourt

- DAVID CAVIGLIOLI

1 BULLE

Leïla Slimani, née en 1981, a grandi à Rabat, au Maroc, dans une famille aisée. « Une bulle protégée », dit-elle. Son père, né à Fès, a étudié en France, puis est retourné au pays pour devenir secrétaire d’Etat. Il a ensuite dirigé une banque, jusqu’à ce qu’un scandale financier le fasse tomber en disgrâce. Il est mort en 2004. Sa mère, d’origine franco-algérienne, a été une des premières femmes médecins du Maroc.

2 ÉDUCATION

Elle a étudié au lycée français de Rabat, et ses parents parlaient français à la maison, si bien qu’elle parle mal l’arabe. Elle a reçu une éducation progressis­te. « [Nos parents] nous ont toujours dit, à mes soeurs et moi, que notre corps nous appartenai­t, qu’on avait le droit d’en disposer comme on voulait. Et, en même temps, qu’on n’avait pas le droit de se promener avec un homme. Allez comprendre. »

3 MISÈRE SEXUELLE

Elle juge qu’elle ne serait pas heureuse au Maroc, où les femmes sont « obligées de vivre dans le mensonge perpétuel. » « Je ne veux pas avoir peur parce que je porte une jupe dans la rue, parce que je monte seule dans un taxi ou parce que je fume une cigarette pendant le ramadan. » En janvier, elle publiera « Sexe et mensonges », un essai consacré à la « misère sexuelle dans le Maghreb ».

4 PARIS

A 17 ans, elle entre en hypokhâgne à Paris. « Je ne me rendais pas compte que j’allais connaître une telle solitude, dit-elle. Je me souviens de semaines entières où je ne parlais à personne en dehors des cours. Les Parisiens prennent un café le soir ensemble et, après, chacun rentre dîner. C’est inimaginab­le au Maroc, où l’on invite les gens qu’on sait seuls. Le premier hiver a été interminab­le, j’ai mis des années à me faire des amis. »

5 JOURNALISM­E

Elle envisage un temps de faire du cinéma et s’inscrit au Cours Florent, avant de juger qu’elle est une « comédienne médiocre ». Après un stage à « l’Express », elle devient journalist­e, puis entre à « Jeune Afrique ». Elle trouve le métier « dur et chronophag­e ». « J’avais toujours l’impression de ne pas en faire assez, dit-elle, de ne pas être à la hauteur. Et puis, c’est un métier où l’on ne vieillit pas bien. »

6 DÉMISSION

Son mari est banquier. Elle a eu un enfant avec lui en mai 2011. En 2012, elle démissionn­e de « Jeune Afrique » pour se consacrer à l’écriture, tout en gardant un pied dans le journal comme pigiste. « J’ai su que certains riaient dans mon dos en disant : “Son mari gagne bien sa vie, cette histoire d’écriture, c’est une manière polie de dire qu’elle est entretenue” », nous confiait-elle à la sortie du livre.

7 ATELIER D’ÉCRITURE

L’idée de son premier roman lui vient en 2011, alors qu’elle s’occupe de son fils en regardant la télévision, en pleine affaire DSK. Elle décide de créer un personnage féminin à l’appétit sexuel strauss-kahnien. Elle fait parvenir quelques pages à l’éditeur Jean-Marie Laclavetin­e, rencontré lors d’un atelier d’écriture. Il lui conseille de ne jamais s’intéresser à ce que ses personnage­s pensent, mais à ce qu’ils font.

8 VIE CACHÉE

En 2014, elle sort « Dans le jardin de l’ogre ». L’histoire, assez crue, d’une journalist­e paresseuse et nymphomane. Le roman a beaucoup tourné à « Jeune Afrique ». « Il y a eu pas mal de blagues, tendres mais pas très fines, sur la vie cachée de Leïla », témoigne alors l’un de ses anciens collègues. « Ce qui nous a le plus surpris, ajoute une autre, c’est la noirceur. On ne la voyait pas capable d’exprimer un désespoir aussi vif. »

9 TCHEKHOV

Ses principale­s influences : Tchekhov, qui « aime ses personnage­s » et « ne les juge jamais ». Stefan Zweig aussi, qu’elle a aimé au point d’entreprend­re un pèlerinage zweigien en Europe de l’Est. Milan Kundera, enfin, qu’elle citait en exergue de son premier roman, « Dans le jardin de l’ogre ».

10 NOUNOU

Slimani a découvert dans la presse l’histoire d’une nounou américaine qui avait assassiné les enfants de ses patrons. Dans « Chanson douce », elle transpose l’affaire dans le Paris bobo. L’occasion de raconter la lutte des classes chez les néo-bourgeois et de réveiller quelques souvenirs d’enfance: « J’ai grandi au Maroc […] où on a encore des nounous à domicile et des employés de maison. Souvent, j’ai assisté à des situations qui m’ont brisé le coeur. »

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