La start-up en surchauffe
Alors qu’Emmanuel Macron s’apprête à dévoiler son programme, les équipes du candidat s’activent 24 heures sur 24 dans son QG de campagne. Visite guidée
Sur un tableau blanc, écrit au feutre bleu, le chiffre du jour : « J–72 » avant le premier tour. Plus loin, des poufs bleu canard, une machine à café qui crache ses expressos 24 heures sur 24, une salle de repos équipée de lits superposés, des plannings avec uniquement les Photomaton des réquisitionnés, des badges de sécurité où ne sont indiqués que les prénoms… Moyenne d’âge des 55 salariés : 31 ans. Les 180 helpers – comprenez les bénévoles – en ont, eux, facilement dix de moins. Les filles sont en minijupe et baskets New Balance. Les garçons portent une barbe de trois semaines. « C’est un esprit start-up, insiste une porteparole. On ne se laisse pas enfermer dans des schémas d’organisation rigides… »
Mille mètres carrés sur trois étages d’un immeuble moderne de la rue de l’AbbéGroult, dans le 15e arrondissement de Paris. Voilà donc le QG d’Emmanuel Macron, devenu en quelques semaines le favori de la présidentielle. Les sondages le placent désormais au second tour, après les déboires de ses rivaux les plus redoutables (Alain Juppé, Manuel Valls, François Fillon). Tous les projecteurs sont à présent braqués sur lui. Les journalistes se bousculent dans ce qui fait office de salle d’attente, avec BFM en fond sonore. La semaine dernière, on y croisait une équipe du magazine « Têtu » et le réalisateur d’un documentaire sur la campagne d’En Marche ! Mais, surtout, ne pas donner l’impression que le mouvement se serait mis à fonctionner comme un « vieux » parti.
Depuis le début, la méthode participative et le nombre de convertis font partie du storytelling. Les adhérents? 188 832 annoncés. La préparation du programme ? Quatre cents experts sollicités (chercheurs, acteurs du secteur…), 30 groupes de travail, des centaines d’idées qui seraient remontées du terrain, comme la proposition de vendre les médicaments à l’unité, des centaines d’autres testées dans les réunions thématiques, auprès des comités locaux, des milliers de fiches. « Pour comprendre la stratégie d’Emmanuel Macron, il faut se souvenir de François Bayrou à la présidentielle de 2007. Il a fini à 18,6% au premier tour, mais seul, sans troupes, analyse Jérôme Fourquet, de l’Ifop. Le leader d’En Marche! doit montrer qu’il n’est pas embarqué dans une aventure solitaire. Il doit mettre en scène les ralliements d’élus [Richard Ferrand, Gérard Collomb… NDLR], de chefs d’entreprise [Françoise Holder, des boulangeries Paul]. Il doit crédibiliser sa dynamique en insistant sur tous ceux qui travaillent pour lui. Il doit prouver qu’il est à la tête d’une armée. »
Il faut monter au 6e étage, à l’abri du toutvenant, pour retrouver un univers plus classique. C’est là qu’est installé l’étatmajor. Une vingtaine de surdiplômés, rompus aux arcanes de la politique, en majorité des hommes, pour beaucoup venus de son cabinet au ministère de l’Economie. Ils sont les seuls, ici, à oser arborer costumes sombres et chaussures en cuir. Le noyau dur fait tourner la machine, sous la houlette, entre autres, de Jean PisaniFerry. Fils d’Egard Pisani, ministre de De Gaulle et de Mitterrand, et arrièrepetitneveu de Jules Ferry, il a oeuvré au cabinet de Dominique StraussKahn et jusqu’au mois dernier comme commissaire général de l’institution publique France Stratégie. Le voilà aujourd’hui à la tête du pôle « idées ». A charge, pour lui, de boucler le programme, rebaptisé plus solennellement « contrat avec la nation ».
Justement. Depuis quelques semaines, la critique enfle. Macron, le candidat sans programme ? La formule de François Fillon, en déplacement à Poitiers, le 9 février, a fait mouche : il « a inventé la campagne présidentielle sans programme présidentiel ». Un point presse a été organisé toutes affaires cessantes au QG d’En Marche ! Devant le fond bleu recyclé d’un meeting, l’étatmajor et les responsables des groupes thématiques ont dressé l’inventaire des mesures égrenées par le candidat dans ses meetings et interviews. Mais Macron n’est pas censé faire comme tous les autres. Et les leaders du mouvement se relaient aussitôt pour décoder la séquence. « Bruno Le Maire a pondu un catalogue de 1000 mesures pour aller se crasher misérablement à la primaire de la
droite. Qui est capable aujourd’hui d’en citer une seule ? » s’amuse Bruno Bonnell, le patron de Robopolis. « On a une démarche originale de consultation et de débat avec les Français, ce qui nous a permis de dresser un état du pays et d’élaborer des propositions structurantes, pas de simples “mesurettes” », renchérit Didier Casas, conseiller de Macron pour les questions régaliennes.
L’équipe promet des annonces sur la sécurité lors du meeting de Toulon ce week-end, un chiffrage du projet autour du 22 février et la présentation du « contrat avec la nation », début mars. « Emmanuel Macron est monté très vite, très haut, conclut Jérôme Fourquet. Plusieurs ressorts se combinent favorablement : l’aspiration forte à un renouvellement de la classe politique et au dépassement des postures gauchedroite, le fait qu’il soit le seul candidat à avoir un discours optimiste. Et, dans un programme, ce qui compte, c’est l’image de la France qui est renvoyée, avec de grandes lignes et quelques mesures symboliques. Mais quand il précisera ses propositions, Macron risque de déstabiliser son électorat, très composite, et, pour moitié, encore indécis. »
Au sein de l’équipe de campagne, la communication n’est guère facilitée par cet exercice d’équilibrisme politique. Un ponte du macronisme confie « ne pas être au courant des annonces qui doivent être faites dans les prochains jours ». Un autre ignore le nom des responsables du groupe de travail dans lequel il a pourtant planché. Lors des réunions, droite et gauche retrouvent parfois leurs vieux réflexes… « Emmanuel Macron n’est pas dans une démarche centriste de recherche de propositions consensuelles ou d’un équilibre du juste milieu, précise Jean Pisani-Ferry. Il n’est pas lesté par les tabous, il bâtit un programme progressiste. » Et si c’était en marchant qu’on se rapprochait le plus sûrement de l’Elysée ? Sur les murs du QG, un portrait du candidat est agrémenté d’une de ses citations favorites : « Sky is the limit. »