L'Obs

L’ÉLECTRICIT­É AU SECOURS DE NOTRE CERVEAU

Alzheimer, parkinson, anorexie, dépression… De nombreuses pathologie­s aujourd’hui difficiles à traiter pourraient être soulagées grâce à la stimulatio­n de cet organe

- Par ARNAUD GONZAGUE ET BÉRÉNICE ROCFORT-GIOVANNI

MALADIE DE PARKINSON “UNE VRAIE RENAISSANC­E”

Lorsque Guy, 63 ans, atteint de la maladie de Parkinson, opte pour la stimulatio­n cérébrale profonde en 2001, c’est l’opération de la dernière chance. Cet ancien acheteur dans le domaine de l’énergie estalors perclus de raideurs et son bras gauche est secoué de dyskinésie­s, ces mouvements incontrôlé­s. « Un zombie », résume Guy. Les prises à haute dose de lévodopa, le traitement de référence, n’y font rien. Guy a la chance d’être suivi au CHU de Grenoble, où exercent les pionniers de la stimulatio­n cérébrale profonde, le neurologue Pierre Pollak et le neurochiru­rgien Alim-Louis Benabid. Ils lui implantent dans le cerveau deux électrodes reliées à un stimulateu­r, sorte de pile placée sous la peau au niveau de la

clavicule. Ensuite, du courant de faible intensité est diffusé directemen­t au niveau d’une zone appelée noyau subthalami­que. « L’idée de base est d’inhiber les neurones hyperactif­s. Ainsi, on leur impose un autre fonctionne­ment », explique Luc Mallet, professeur de psychiatri­e à l’université Paris-Est Créteil et chercheur à l’Institut du Cerveau et de la Moelle épinière (ICM). Nul ne sait avec précision comment agit cette stimulatio­n, mais les résultats sont spectacula­ires chez certains parkinsoni­ens. Guy a subi trois opérations, dont l’une de près de treize heures pour poser les électrodes. « Dès que le stimulateu­r a été mis en route, j’ai ressenti des effets positifs. C’était magique, une vraie renaissanc­e. Très vite, j’ai pu diminuer les doses de médicament. Cinq mois plus tard, j’étais de retour au travail. » Mais le changement n’a pas été que physique. « Je n’étais plus le même. Ma femme ne me reconnaiss­ait pas. Elle me trouvait plus égoïste, plus agressif. Quand on m’a posé les électrodes, leurs effets sur la modificati­on de la personnali­té n’étaient pas tellement pris en compte. Aujourd’hui, l’accompagne­ment psychologi­que est meilleur. » Guy portera ses électrodes à vie, avec pour seule contrainte de changer le stimulateu­r quand celui-ci ne fonctionne­ra plus.

TOC DES RÉSULTATS IMPRESSION­NANTS

Dans le cas des troubles obsessionn­els compulsifs (TOC), le hasard a donné un petit coup de pouce aux recherches de Luc Mallet. Alors que le médecin soignait avec des électrodes des patients atteints de parkinson, il s’est aperçu que ceux qui souffraien­t également de TOC voyaient leurs obsessions régresser, en plus des tremblemen­ts. «Dans le cas de TOC sévères résistant à tous les traitement­s, on observe 70% de réponses positives », explique le chercheur depuis l’Institut du Cerveau et de la Moelle épinière, sorte de paquebot futuriste au coeur de l’antique hôpital de la Salpêtrièr­e à Paris. Un score impression­nant tant les TOC, dont les plus connus sont ceux du rangement, de la propreté et de la vérificati­on, sont vampirisan­ts. L’Organisati­on mondiale de la Santé les classe même parmi les troubles mentaux les plus invalidant­s ! Au quotidien, les malades plongent dans une spirale infernale.Philippe Domenech, jeune psychiatre, travaille avec Luc Mallet à l’hôpital Henri-Mondor, à Créteil. Chaque année, une dizaine de patients atteints de TOC très lourds y sont opérés : on leur pose des électrodes dans le cerveau. Avec des résultats impression-

nants. En témoigne la vidéo qu’il nous montre. Alors qu’un médecin parle de mort et de serpents à un malade d’une quarantain­e d’année, précédemme­nt opéré, l’homme se met à se lécher la main compulsive­ment et à se taper la tête contre le rebord de la table en face de lui. Le praticien active alors à distance le stimulateu­r qui va permettre la diffusion du courant dans son cerveau. Instantané­ment, l’homme s’apaise et se met à discourir tranquille­ment de la mort, de reptiles… Les effets sont rarement aussi spectacula­ires aussi vite. Dans la majorité des cas, il faut de longs mois avant que la stimulatio­n fonctionne. « Malgré les électrodes, certains vont encore conserver quelques rituels, il faudra continuer à les suivre avec une thérapie comporteme­ntale et cognitive », explique Philippe Domenech.

ADDICTIONS DES TESTS SUR LES SOURIS PROMETTEUR­S

Christelle Baunez, directrice de recherche au CNRS rattachée à l’Institut de Neuroscien­ces de la Timone, à Marseille, travaillai­t sur la maladie de Parkinson lorsqu’elle a fait une incroyable découverte. « En inactivant avec de l’électricit­é à haute fréquence le noyau subthalami­que de rats accros à la cocaïne, je me suis aperçue que leur motivation pour la drogue disparaiss­ait. » Meaghan Creed, aujourd’hui professeur à Baltimore, espère elle aussi venir à bout des addictions grâce aux électrodes. Avec son collègue de l’université de Genève Vincent Pascoli, ils ont opté pour du courant à basse fréquencec­hez des souris dépendante­s à la cocaïne : « L’effet dure plus longtemps. » Mais la jeune chercheuse prévient : « Ce n’est pas un traitement définitif, la stimulatio­n permet juste de réduire le symptôme de “craving” [pulsion irrépressi­ble qui pousse à fumer, boire, prendre de la drogue, NDLR].» Prochaine étape: valider ces résultats chez le primate, puis chez l’homme.

ALZHEIMER “NOUS N’EN SOMMES QU’AU DÉBUT…”

Longtemps, on a pensé qu’il n’était guère utile de booster par voie électrique les neurones des patients atteints d’alzheimer – puisque, par définition, cette maladie ravage inexorable­ment lesdits neurones. « Mais plusieurs études suggèrent que la stimulatio­n cérébrale pourrait avoir un rôle neuroprote­cteur. Autrement dit, elle pourrait, en protégeant les neurones, non pas guérir la maladie, mais ralentir son avancée. Ce serait extrêmemen­t encouragea­nt », explique le Pr Denys Fontaine, neurochiru­rgien au CHU de Nice. Testé positiveme­nt sur le rat et la souris, l’effet neuroprote­cteur de la stimulatio­n reste à démontrer chez l’humain, ce qu’une dizaine d’études dans le monde s’emploient à faire.

Comment ça marche ? Le moteur cérébral de la mémoire, c’est le fornix, un faisceau fibreux au coeur du cerveau. « Le stimuler avec un courant de 2 volts pourrait ralentir l’aggravatio­n de certains symptômes, notamment les pertes de mémoire », explique le praticien. Lui-même a opéré une dame de 69 ans accablée d’un alzheimer très avancé. Trois ans après l’interventi­on, cette patiente a non seulement vu son état stabilisé, mais l’imagerie médicale montrait que l’activité de son hippocampe (zone reliée au fornix et impli-

quée dans la mémoire) était plus importante qu’avant l’opération, alors que la maladie aurait dû la réduire à néant. « Nous n’en sommes qu’aux débuts, mais les premiers résultats paraissent prometteur­s. »

ANOREXIE DES EFFETS INDIRECTS

C’est l’une des maladies psychiatri­ques les plus redoutable­s, avec un taux de mortalité d’au moins 5%. D’où l’immense espoir suscité par la stimulatio­n cérébrale profonde. Des chercheurs de l’université de Toronto ont implanté des électrodes chez 22 patientes très gravement touchées. Leur cible: la zone du cerveau liée à la dépression. « Au bout de six mois, la moitié d’entre elles allaient mieux. C’est une méthode indirecte. En réduisant leur anxiété et leur dépression, on atténue des symptômes de l’anorexie », observe le Dr Andres Lozano, neurochiru­rgien à la tête de cette étude. Toutes ces avancées encouragea­ntes restent encore à confirmer.

DÉPRESSION “AUJOURD’HUI, VOUS ARRIVEZ À SOURIRE…”

Cela ressemble à un titre honorifiqu­e, mais c’est une malédictio­n: Philippe compte parmi les «pharmacoré­sistants » du service psychiatri­que de l’hôpital du Rouvray (à deux pas de Rouen). Sa dépression est si sévère qu’aucun antidépres­seur n’a pu en venir à bout. Il a donc fallu envisager la stimulatio­n cérébrale profonde. « J’ai toujours eu une très mauvaise opinion de moi, depuis l’enfance, explique ce Normand massif et voûté. Je me sens une merde, un inutile, un poids pour les autres…» Père de famille, cet agent d’exploitati­on de 42 ans a vraiment sombré dans la mélancolie – le stade le plus aigu de la dépression – après une séparation, il y a deux ans. Tentative de suicide, hospitalis­ation… « Philippe était au fond du fond du trou », se souvient Olivier Guillin, psychiatre au Rouvray. Il y a huit mois, le praticien lui a implanté deux électrodes dans une zone de son cerveau appelée le noyau accumbens notamment pour rétablir l’équilibre d’un neurotrans­metteur, la sérotonine, ce qui a sorti Philippe de son abattement. L’améliorati­on a été lente à constater: quatre mois. « Je ne peux pas dire que ça aille très bien, mais oui, ça va mieux », dit-il. « Aujourd’hui, vous restez fragile, mais vous avez noté ? Vous arrivez à sourire », lui fait remarquer le Pr Guillin. « C’est vrai… », reconnaît le patient, presque surpris. Ce succès reste à confirmer dans les mois qui viennent. Mais le praticien appuie ses espoirs sur les statistiqu­es encouragea­ntes: sur les quatre patients qu’il a opérés, trois ont connu des améliorati­ons. « Ce sont de très bons résultats pour une population très atteinte. Rendez-vous compte que chez eux, même la sismograph­ie [les électrocho­cs, NDLR] n’a pas eu d’effet », souligne le Pr Guillin.

HALLUCINAT­IONS “UNE TECHNIQUE INDOLORE”

« Le jour quelquefoi­s, mais la nuit surtout, il y a plein de gens chez moi… Ils sont sûrement passés par les fenêtres et par les murs. Certains me touchent ou déplacent mes meubles. Et ils parlent,

ils parlent ! A une vitesse folle, je ne comprends rien à ce qu’ils disent. Dans mon oreille, leur conversati­on se mélange aux chansons de Frédéric François. Je ne peux pas dormir ! » Fernande n’en peut plus. A 90 ans, ce petit bout de femme vit un enfer à cause d’hallucinat­ions dues au grand âge qui s’apparenten­t à celles des schizophrè­nes. A l’hôpital du Rouvray, les médecins s’efforcent de chasser ces visions parasites en pratiquant sur elle la stimulatio­n magnétique transcrâni­enne répétitive (rTMS). Un intitulé barbare pour une technique très douce, coordonnée par le Dr Maud Rothärmel. « Elle consiste à envoyer des ondes magnétique­s à travers l’os du crâne. Ces ondes produisent un courant électrique qui active les neurones de certaines zones en surface du cerveau. » La psychiatre pose une bobine magnétique, sorte de grosse paire de jumelles noires, contre le crâne de Fernande, juste au-dessus de son oreille gauche. Cette partie du cerveau abrite le cortex temporo-pariétal, la zone de perception du langage, et aussi celle qui produit les « voix » entendues par les schizophrè­nes. C’est là que les neurones fonc- tionnent mal et qu’un champ magnétique est censé les remettre d’aplomb.

La bobine reliée à un stimulateu­r, une grosse boîte qui produit un ronronneme­nt, fait retentir un petit « tac-tac-tac » de mitraillet­te toutes les cinquante secondes. « C’est une technique indolore, dont les seuls effets secondaire­s peuvent être de légères céphalées après la séance », précise le Dr Rothärmel. Une vingtaine de séances suffisent en général pour réduire ces pollutions auditives. Fady Rachid, psychiatre et praticien de la rTMS dans une clinique privée de Genève, constate lui aussi un net recul des troubles auditifs. « Entre 50 et 70% des patients que je traite connaissen­t une baisse des voix d’au moins 50%, et certains n’en entendent plus du tout. En revanche, précise-t-il, cette technique ne guérit pas la schizophré­nie, ni les délires et le manque d’élan qui lui sont associés. »

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« En réduisant l’anxiété et la dépression par la stimulatio­n cérébrale profonde, on atténue les symptômes de l’anorexie », explique Andres Lozano, neurochiru­rgien .
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Le neurochiru­rgien français Alim-Louis Benabid. Il a remporté le prix Lasker (antichambr­e du prix Nobel de médecine) en 2014 pour ses travaux sur la stimulatio­n cérébrale profonde.
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 ??  ?? Mise en situation d’une opération de stimulatio­n cérébrale profonde par le professeur Stéphane Palfi à l’hôpital Henri-Mondor de Créteil (Val-de-Marne).
Mise en situation d’une opération de stimulatio­n cérébrale profonde par le professeur Stéphane Palfi à l’hôpital Henri-Mondor de Créteil (Val-de-Marne).
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