L'Obs

“La France d’en haut ne comprend pas celle d’en bas”

A la veille de la présidenti­elle, “l’Obs” retourne à la rencontre des Français qui furent au coeur des enjeux politiques, économique­s et sociétaux du quinquenna­t. Cette semaine, l’agence Pôle Emploi de Nantes, où un chômeur s’était immolé par le feu en 20

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Zone industriel­le du nord de Nantes. Unesuitede­locaux cubiques qui font grise mine, par un froid petit matin d’hiver. Il est 8h30 et déjà les demandeurs d’emploi patientent sous leur bonnet, devant la porte fermée de l’agence. Là, en 2013, un chômeur en fin de droits s’est immolé par le feu. Le temps a passé, les situations sociales douloureus­es demeurent. Sur le panneau fléché « Pôle Emploi », un doigt critique a tracé « Fainient » (sic) dans la poussière. « Je ne vote plus. Même pas blanc », assume Lucas, 32 ans, en descendant de sa moto noire et verte. Ce jeune homme mince se réinscrit après un contrat de livreur. En 2002, il a mis un bulletin Chirac dans l’urne, contre Le Pen. En 2012, il a opté pour Mélenchon. C’était l’époque où il y croyait encore. Depuis, terminé. « Pendant la primaire, ils sont tous comme des commerciau­x, là pour se vendre. Ils veulent juste séduire les Français pour servir leur carrière, mais ils se moquent bien d’eux. Ce sont des marionnett­es de la finance, des multinatio­nales, des banques. » Lucas, lui, jongle entre activité et chômage : il bosse quelques mois puis file à l’étranger couler une vie plus douce à moindres frais. Retournera-t-il dans l’isoloir ? Pas de risque. La politique, c’est comme le couple : « Une fois que la confiance est partie, c’est di cile de la reconquéri­r. »

Christian, 53 ans, « chômiste » marqué par les années, ressort de l’agence en coup de vent : « Je n’ai jamais voté et je ne voterai jamais. C’est un monde de guignols ! criet-il en agitant les bras. Coluche disait : “J’arrêterai de faire de la politique quand les politiques arrêteront de nous faire rire.” » Jean-Paul, grand quinqua sec, reste pour sa part un passionné. « On continue à débattre à la maison, avec les enfants », dit-il. Sa femme est au chômage, lui bosse comme ouvrier qualifié chez Airbus. Par principe, il vote toujours FN au premier tour, « pour marquer un désaccord avec ceux qui gouvernent, droite comme gauche ». Au second tour, en revanche, sa voix va à la gauche. Il serait favorable à la proportion­nelle, « plus équitable ». « Le président est élu par 52% des personnes qui ont voté. Il ne représente donc, en fait, que peut-être 15% des Français. » Jean-Luc pense, lui aussi, que c’est l’économie qui gouverne. « Voyez, quand la Grèce a voté Tsípras : il allait tout révolution­ner, et rien… » Le quinqua est sûr d’une chose : ça ne va pas en s’améliorant. « Du temps de mes parents, seul l’homme travaillai­t et la famille pouvait quand même partir en vacances. Maintenant, les deux bossent et tout part en frais et en impôts. Avant, nous allions au ski. C’est terminé. On n’ira plus. » Avec 2 500 euros net de revenu après trentesept ans de carrière, il ne se plaint pas. « Mais on a de plus en plus de boulot et de pression. »

Elisabeth, 61 ans, coquette sous son bibi prune, se fait, elle, un devoir de voter. Cette femme dynamique, qui a travaillé dans l’insertion profession­nelle, a participé aux primaires. « Je ne suis pas de droite mais j’ai voté Juppé pour éliminer Sarko. A celle de gauche, j’ai choisi l’écolo Rugy, qui est nantais. Pas Valls, que je trouvais autoritair­e. Macron ? Il est venu en grande pompe à Laval : toute la ville était bloquée, c’était ridicule ! Cette France d’en haut ne comprend pas celle d’en bas. Si Pierre Rabhi [agriculteu­r écologiste qui défend la sobriété, NDLR] se présentait, je voterais plutôt pour lui ! Moi, je consomme et je jette peu. » Un penchant décroissan­t que partage Julie, petite rousse de 32 ans. « Je travaille à mi-temps comme surveillan­te de lycée et je complète avec les Assedic, explique-t-elle. Mes valeurs : je suis contre l’argent à tout prix. Je n’achète rien de neuf. Et je ne veux pas me définir par mon travail. Je suis d’extrême gauche : je voterai Mélenchon. »

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Le 14 février 2013, un hommage est rendu, devant l’agence, au chômeur en fin de droits qui s’est suicidé la veille.

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