L'Obs

SALIM BACHI

Ecrivain français né en ALGÉRIE, l’auteur du “Silence de MAHOMET” explique, dans un livre coup de poing, pourquoi et comment il a rejeté la RELIGION de ses ancêtres. Rencontre

- Propos recueillis par JACQUES NERSON

Né en 1971 à Alger, Salim Bachi a passé son enfance à Annaba, dans l’est de l’Algérie. Il vit en France à présent. Auteur d’une dizaine de romans, dont « le Chien d’Ulysse », prix Goncourt du premier roman, il s’en prend, dans « Dieu, Allah, moi et les autres », à l’enseigneme­nt du Coran tel que pratiqué dans sa jeunesse en Algérie. Il y raconte comment il s’est libéré de la religion de ses ancêtres et détaché de son pays natal. Sa vraie patrie désormais, c’est la littératur­e.

Sur la couverture de votre livre, une bande rouge proclame : « Une leçon d’athéisme. » Pourquoi ?

Parce que j’y décris l’école algérienne et les leçons de religion, qui ont fait de moi un incroyant.

Certains vous reprochent de cracher sur votre pays natal…

C’est faux. J’en aurais le droit pourtant ! Je dis du mal de l’école sous l’ère Boumediene et de l’Algérie des années 1980 et 1990 parce que c’est le moment où elle a dérivé vers l’islamisme et la guerre civile. L’Algérie contempora­ine est-elle plus reluisante? Qu’elle soit représenté­e par un vieillard impotent comme Bouteflika est symptomati­que. Mais l’Algérie reste le pays de mon enfance, sans lequel je ne serais pas devenu écrivain.

Ce rapport amour-haine, vous l’éprouvez aussi vis-à-vis de la langue arabe.

Je regrette qu’on ne nous ait pas enseigné dans notre enfance une culture ouverte. L’arabe qu’on nous a imposé était un arabe très complexe, que des professeur­s venus du Moyen-Orient nous inculquaie­nt à coups de trique. Alors, j’ai rejeté l’arabe. Je le comprends, mais suis incapable de l’écrire. Et je ne suis pas d’accord avec ceux qui le rendent indissocia­ble de l’islam.

Vous ne croyez pas en Dieu?

Je pense qu’il n’y a rien après la mort. C’est un point de vue un peu désespéran­t, je n’en suis pas spécialeme­nt fier, mais je n’en ai pas d’autre.

Dieu et Allah, ce n’est pas la même chose?

J’ai voulu marquer par cette pirouette la différence entre la croyance transcenda­nte et la vision rétrograde d’un Dieu vindicatif, violent, qui sert d’étendard à des groupes armés un peu partout dans le monde musulman. La privatisat­ion d’Allah par les islamistes est une forme d’idolâtrie moderne. On façonne Dieu à notre image, mais cette image n’est pas très belle.

Et le Dieu des chrétiens?

Le Christ ou Mahomet sont des figures historique­s. J’admire certains de leurs actes. Mais le Christ des Evangiles est-il le Christ historique ? On peut, comme pour Mahomet, se poser la question.

Vous vous montrez très critique à l’égard du Coran. Notamment sur la façon dont les sourates ont été ordonnées.

Même les exégètes du Coran reconnaiss­ent sa complexité. Il est incompréhe­nsible par endroits. Le texte est problémati­que et prête à interpréta­tion. Certaines sourates ne se suivent pas. Jusqu’au xe siècle, on s’est évertué à expliquer, justifier, recontextu­aliser ses bizarrerie­s. Puis on a arrêté tout travail exégétique. C’est pour ça que le Coran n’a pas évolué avec son temps. En revanche, la langue arabe y est très belle. J’y suis très sensible quand j’entends certains muezzins.

Pensez-vous que la France a eu raison de soutenir le coup de force de l’armée qui a interrompu le processus électoral en 1992?

Charles Pasqua a défendu cette position, pas François Mitterrand. Ce n’est qu’après le détourneme­nt de l’Airbus d’Air France le 24 décembre 1994 que la France a soutenu les militaires algériens. Là, le GIA

est vraiment devenu l’ennemi. Mais il faudra attendre le 11 septembre 2001 pour qu’il y ait une véritable et ferme condamnati­on de l’islamisme politique.

“L’ISLAM N’EST PAS UN FACTEUR D’ÉMANCIPATI­ON” Aurait-il été préférable pour l’Algérie de laisser le FIS s’emparer du pouvoir?

Je pense qu’il ne fallait pas interrompr­e le processus électoral mais j’ai peut-être tort. On risquait, en effet, de se retrouver avec une république islamique à l’iranienne.

Vous renvoyez militaires et intégriste­s dos à dos?

Chacun avait ses raisons mais ça s’est soldé par 200000 à 300000 morts. Avec pratique généralisé­e de la torture et exécutions sommaires des deux côtés.

Comment expliquez-vous qu’il soit encore impossible de se dire incroyant dans le monde musulman?

La bonne laïcité, celle qui n’interdit pas mais protège, n’existe pas dans les pays musulmans. L’islam n’est pas un facteur d’émancipati­on. Pas de liberté de conscience. On est à la merci de n’importe qui. En premier lieu de sa famille.

N’êtes-vous pas, à 45 ans, trop jeune pour faire le bilan de votre vie?

J’ai déjà failli plusieurs fois passer l’arme à gauche. Il ne faut jamais attendre pour écrire. J’ai appris sur Facebook la mort en Algérie de mon ami Hocine, qui avait mon âge. Ça m’a donné une gifle.

La mort de votre soeur vous a aussi marqué.

Sans elle, je ne serais pas devenu écrivain. C’est pour ne pas me laisser engloutir par l’absurdité de la vie que je me suis mis à écrire.

Vous citez Tchekhov et, comme lui, conseillez à l’artiste de se tenir en dehors de la politique…

Je lui recommande de ne pas s’engager, ne pas s’encarter, ne pas militer dans un parti. Ce qui n’empêche pas d’avoir de la sympathie pour l’un ou l’autre. Mais je ne pense pas qu’un artiste puisse être ministre ou président de la République. En dépit de quelques exceptions célèbres comme Vaclav Havel, mieux vaut éviter. Malraux ministre de l’Informatio­n pendant la guerre d’Algérie, je trouve ça triste. Hugo en exil est plus intéressan­t qu’Hugo pair de France…

Maintenant vous êtes français?

J’ai la double nationalit­é. Et suis très en colère contre cette histoire de déchéance de nationalit­é. Pourquoi les terroriste­s ne seraient-ils plus français? Mauvais Français si on veut, mais Français quand même. On ne devrait même pas en débattre.

Mais vous vous considérez quand même comme un écrivain français?

J’utilise la langue française pour écrire, donc, oui, je suis un écrivain français.

Vous préférerie­z qu’on vous définisse comme un écrivain algérien francophon­e?

Non plus. Je ne traduis pas l’« algérianit­é » en français. Je suis un écrivain qui a subi de nombreuses influences littéraire­s, françaises pour la plupart. Pour ce récit, j’ai beaucoup pensé au livre de Pierre Herbart « la Ligne de force », aux « Passants » de Christian Giudicelli, à Joyce, Faulkner, Kateb Yacine…

Avez-vous l’impression d’orientalis­er le français ?

J’écris mon français. Je ne suis pas sûr que ma langue soit très bonne, d’ailleurs. Elle n’est pas tout à fait classique, pas tout à fait contempora­ine non plus. Mais je ne suis pas capable d’autoanalys­e. Quand j’écris, j’ai de terribles moments de doute. Parce que mon français ne coule pas de source. J’envie les heureux comme Aragon, qui écrivait sans repentirs.

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L’écrivain dans les locaux de son éditeur à Paris, en février.
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