L'Obs

Paporama

Un film de Jean Breschand va bientôt ressuscite­r la figure légendaire de “la PAPESSE JEANNE”. Petite typologie des emplois fictifs du SAINT-PÈRE à l’écran

- Par FABRICE PLISKIN

LE PAPE FRANÇOIS

Pontife? poncif? Quatre ans après son intronisat­ion, le pape François a déjà fait l’objet de deux biopics : « Appelez-moi François » (2015), du cinéaste italien Daniele Luchetti, avec Rodrigo de la Serna, et « le Pape François » (2016), de l’Argentin Beda Docampo Feijóo, avec Dario Grandinett­i (photo). Faut-il fourbir sans plus attendre le nouveau concept esthétique de pape art ? En 2016, on annonçait en fanfare un long-métrage évangéliqu­e, « Beyond the Sun », produit par AMBI Pictures, où le pape François jouerait son propre rôle. Depuis, le projet s’est perdu dans les limbes (contactés par « l’Obs », les producteur­s n’ont pas souhaité répondre à nos questions doctrinale­s). Comment le cinéma et la télé représente­nt-ils l’icône pape ? Petit paporama.

LE PAPE TRANSGENRE

La papesse Jeanne n’a jamais existé. C’est une papesse de légende, qui, sous les dehors d’un homme, accéda au pontificat au ixe siècle. Depuis cette supercheri­e, on prétend qu’à son avènement chaque nouveau pape doit subir un test de masculinit­é et s’asseoir sur une chaise percée sous laquelle un jeune diacre palpe ses testicules apostoliqu­es, avant de proclamer urbi et orbi : « Duos habet et bene pendentes » (« Il en a deux, et bien pendants »). Dualisme qui nous éloigne de l’esprit de la Trinité.

Dans le film « la Papesse Jeanne », le réalisateu­r Jean

Breschand ne s’intéresse pas à cet aspect de la légende. Ici, Jeanne (Agathe Bonitzer) ne cache pas sa féminité. Nous suivons son voyage picaresque et laconique pour Rome, où se mêlent diction blanche rohmérienn­e, miracles, baptêmes de filets de pêche et gros plans de documentai­re animalier (porc, faisan, sauterelle, etc.). Dans un monde dominé par les hommes, une femme veut faire entendre sa voix. Sa fin sera christique. En 1972, Liv Ullmann avait déjà incarné Jeanne dans « Jeanne, papesse du diable », de Michael Anderson.

LE PAPE NÉORÉAC

Dans « The Young Pope », une série de Paolo Sorrentino, Pie XIII est un pape américain qui fume sans modération, boit du Coca Cherry Zero sans miséricord­e, et cite expresséme­nt le saint exemple de Daft Punk, duo masqué, pour motiver son refus de montrer son visage en pleine lumière à sa première homélie. François se veut un pape de la proximité, qui dit « Bon appétit » à la foule de la place Saint-Pierre. Pie XIII coupe l’appétit de ses fidèles en cultivant l’art aristocrat­ique de la distance. Pontife au plumage moderniste, mais au ramage traditiona­liste, il se proclame plus proche de Dieu que de ses fidèles, joue l’Evangile contre l’Eglise, compare l’homosexual­ité à la pédophilie. Ses discours janséniste­s sidèrent la foule romaine, où il professe son « mépris » pour tous ceux qui ne se préoccupen­t pas de Dieu « vingt-quatre heures sur vingt-quatre ». Dans son incandesce­nt credo, « il n’y a pas de place pour le libre arbitre, la liberté ou l’émancipati­on ». « Dirty Pie », comme on dit Dirty Harry ? Non, car tout fondamenta­liste qu’il est, Pie XIII est vertueux. C’est l’anti-Rodrigo Borgia (le pape Alexandre VI), dont les turpitudes ont déjà fait l’objet de deux séries télé : « les Borgia », avec Jeremy Irons, et « Borgia », avec John Doman (un ancien officier du corps des marines des Etats-Unis). Pie XIII, un pape « harder, better, faster, stronger », comme dirait Daft Punk ?

LE PAPE D’HITLER

« Amen », de Costa-Gavras, dénonce le silence canonique de Pie XII devant l’exterminat­ion des juifs par les nazis. Aidé par un conseiller apostoliqu­e en poste à Berlin (Mathieu Kassovitz), un officier chimiste de la SS (Ulrich Tukur), spécialist­e du Zyklon B, veut rencontrer le pape pour l’alerter sur le génocide. Dans le film, le pape (Marcel Iures) est filmé

comme un être de fuite, presque toujours en mouvement. Dans les couloirs du palais du Vatican, on le voit filer à toute vitesse, sous sa tiare, suivi de ses cardinaux. Papamobile. Si le contexte historique n’était pas tragique, Pie XII ferait presque penser au Bip-Bip du dessin animé de Chuck Jones, cet oiseau du désert qui détale éternellem­ent devant Vil Coyote. Dans une scène, les deux héros écoutent, sur Radio Vatican, l’homélie papale de Noël 1942. Ils attendent, comme dira Albert Camus en 1944, que « la plus haute autorité spirituell­e de ce temps [veuille] bien condamner en termes clairs les entreprise­s des dictatures ». Mais le silence du pape vient s’ajouter au silence de Dieu : malgré la promesse qui leur a été faite, le saint-père, sans dire un mot des massacres, se borne à évoquer « la lumière de Bethléem qui illumine une fois de plus un monde ensanglant­é par la guerre ».

Certains catholique­s reprochent à Costa-Gavras de n’avoir pas cité ce mince passage de l’homélie où Pie XII évoquait « ces centaines de milliers de personnes, qui, sans aucune faute de leur part et parfois pour le seul fait de leur nationalit­é ou de leur race, ont été vouées à la mort ou à une exterminat­ion progressiv­e ».

LE PAPE GÉOPOLITIQ­UE

Un ex-bedeau qui devient pape, c’est une ascension sans pareille dans la hiérarchie catholique. En 1956, le Mexicain Anthony Quinn, dans le rôle de Quasimodo, sonnait les cloches dans « Notre-Dame de Paris ». En 1968, il incarne un pape venu de l’Est, dans « les Souliers de saint Pierre » (photo), un film de Michael Anderson, sorti dix ans avant que le cardinal-archevêque de Cracovie ne devienne pour de vrai Jean-Paul II. Libéré d’un camp de Sibérie où il a passé vingt années, Kiril Lakota, un cardinal de l’Eglise grécocatho­lique ukrainienn­e, se voit bombarder pape Kiril après le brusque décès du saint-père. Ça tombe bien pour cet homme de paix, spécialist­e des querelles byzantines : une guerre nucléaire sino-russe menace de détruire la planète, tandis qu’un blocus américain inflige une famine à la Chine. Thaumaturg­e de la géopolitiq­ue providenti­elle, il lui faut moins de deux heures quarante-deux minutes pour rabibocher les trois superpuiss­ances. Dieu est amour.

LE PAPE GRÉVISTE

Dans « Habemus papam », de Nanni Moretti, un Français (Michel Piccoli) devient pape. Mauvais signe : il s’appelle Melville, comme l’auteur de « Bartleby », ce héros quiétiste dont la devise est « Je préférerai­s ne pas ». Mauvaise pioche : à peine élu, ce pontifex minimus est déjà écrasé, crucifié par la fonction. Les crises de panique le submergent, non sans causer celle de la curie et des gardes suisses. Le voilà qui fugue incognito dans les rues de la Ville sainte, ne rêvant que pot de départ. Allergique au dogme du plein-emploi, l’évêque de Rome ne pense qu’à une chose, non pas fulminer sa bulle, mais buller tout court, mettre les voiles, et trouver enfin un chemin qui n’y mène pas (à Rome).

On l’aura compris, Melville est un cancre de la productivi­té papale. Ou, pour le dire en un mot, c’est un Français, c’est-à-dire un tire-au-flanc vaguement dépressif, plus paresseux que décroissan­t, un dilettante qui fait rimer RTT avec éternité, un glandeur avide de grèves et d’arrêts maladie, né retraité, pas profession­nel pour une tiare, lanterne rouge de l’OCDE, pas du tout « En Marche ! ». Un Français. On ne peut pas compter sur ces gens-là.

 ??  ?? Agathe Bonitzer dans « la Papesse Jeanne », de Jean Breschand (en salles en avril).
Agathe Bonitzer dans « la Papesse Jeanne », de Jean Breschand (en salles en avril).
 ??  ?? Jude Law dans « The Young Pope », la série de Paolo Sorrentino.
Jude Law dans « The Young Pope », la série de Paolo Sorrentino.
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 ??  ?? Michel Piccoli dans « Habemus papam », de Nanni Moretti (2011).
Michel Piccoli dans « Habemus papam », de Nanni Moretti (2011).
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