La course des prépas
Bachotage, hypersélection et tapis rouge pour entrer dans les plus grandes entreprises… C’est la voie de l’excellence à la française!
Intégrer la fine fleur des grandes écoles – HEC, Essec, ESCP, Edhec ou l’EM Lyon –, c’est entrer dans un cercle restreint où sentiment d’appartenance et culture du réseau comptent beaucoup. Aujourd’hui, huit patrons du CAC 40 sont diplômés de HEC. En outre, ces écoles assurent à leurs diplômés un salaire élevé et une carte de visite pour toute leur carrière. Un privilège qui fait rêver bien des lycéens et leurs familles. Mais seuls les meilleurs éléments de prépas parviennent à entrer dans ces établissements d’élite – il faut, par exemple, un peu plus de 14 de moyenne aux concours pour pousser les portes de HEC. Ce n’est pas donné à tout le monde, mais que tous ceux qui n’ont pas le profil de premier de la classe se rassurent, il n’est pas obligatoire d’appartenir à cette poignée d’élèves aux pedigrees prestigieux pour réussir. On peut trouver sa voie au sortir d’un établissement moins illustre.
Comme Mathilde Mazens, jeune Normande de 23 ans. Au lycée, elle n’avait pas encore de projet d’avenir bien précis. Juste une certitude, se souvient-elle : « Je ne voulais pas d’un métier plan-plan. J’avais envie de voyager et d’entreprendre. » Elle a donc choisi de faire une « grande école », avec, en ligne de mire, comme chez bon nombre de lycéens, l’un de ces noms prestigieux comme HEC ou l’Essec qui scintillent au firmament des CV de rêve. Après ses deux années de classes prépa, Mathilde Mazens a intégré une école de bon rang, l’ESC Rennes (généralement citée dans les 15 premières) où elle achève son cursus : « J’avais le choix avec Skema [installée à Lille, Paris et Nice], mieux classée à l’époque, mais j’ai choisi Rennes car j’ai eu un coup de coeur. Le jour des oraux, j’ai été accueillie par des étudiants hyperenthousiastes : une Américaine m’a emmenée passer l’épreuve d’anglais et une Colombienne, celle d’espagnol. Ensuite, à tête reposée, j’ai tout de même discuté avec des anciens et regardé les spécialités de masters, dont certaines n’existaient pas ailleurs, c’est ce qui a emporté ma décision. »
Mathilde a eu raison : avant de se décider, il faut mener sa petite enquête, selon son profil et ses objectifs. Il n’est pas toujours facile de différencier ces écoles tant leurs filières sont similaires et leurs classements, proches. C’est pourquoi il faut étudier minutieusement les programmes et les options proposées, le dynamisme du campus ou encore la ville où elles sont situées. Elles sélectionnent les étudiants selon leurs
résultats à trois principaux concours. C’est un marathon d’épreuves écrites, basées sur des programmes assez lourds. Au menu : culture générale, maths ou synthèse de textes, économie, sociologie ou histoire. Les écoles, qui ont conçu les épreuves, appliquent les coefficients de leur choix à chacune d’elles. A l’oral, l’important est de montrer sa curiosité. Même si les jurys valorisent les candidats brillants et ayant déjà voyagé, voire suivi des stages à l’étranger, n’être jamais parti n’est pas forcément rédhibitoire. « Il faut guider l’entretien et parler de sujets qui nous intéressent et permettent de mettre notre parcours en valeur », explique Pierre-Alexis, ancien élève de l’ESCP Europe. L’oral est l’occasion de montrer son potentiel et sa motivation.
Ces concours où le nombre de places offertes est grosso modo égal à celui des candidats fonctionnent comme une sorte de classement pour les élèves des classes préparatoires, avec la quasi-assurance de se voir accepté dans un établissement. Pour vous donner un ordre d’idées, l’ESC Troyes (classée 19e par le magazine « Challenges ») place la barre d’admissibilité à 5/20. Et les recruteurs se tiennent au courant de ces classements. « La moitié des jeunes diplômés que nous recrutons viennent d’écoles de commerce, et notre préférence va toujours aux “postprépa”, confirme Félicitas Cavagné, responsable du recrutement au sein du cabinet d’audit et de conseil Deloitte. Nous avons des écoles cibles, les premières des classements, auxquelles s’ajoute un cercle élargi qui inclut des établissements comme Neoma BS. »
L’autre atout des « post-prépa », c’est la variété des débouchés. Finances, marketing et ressources humaines sont leurs formations « de base ». Mais elles permettent de se spécialiser également en audit ou en conseil. Certaines sont connues pour un champ particulier : Toulouse BS et les métiers de l’industrie, Grenoble EM et les technologies, Lyon EM et l’entrepreneuriat… Les étudiants y multiplient les stages, ce qui leur permet de construire leur projet professionnel en découvrant ce qui leur plaît vraiment, et de se constituer un réseau. En outre, dans de nombreuses écoles, tous les étudiants participent à un projet de création d’entreprise dès la première année.
Par ailleurs, ces écoles rayonnent à l’international par les accréditations qu’elles ont pu obtenir (des labels accordés pour trois ou cinq ans, voir encadré) et les doubles diplômes avec des universités étrangères ou les campus qu’elles ont ellesmêmes ouverts (tels l’Essec à Singapour ou l’EM Lyon à Shanghai ou à Casablanca). « Un échange de six mois à Madrid m’a permis de me spécialiser en logistique dans l’une des meilleures formations européennes », raconte Mathilde Mazens, de l’ESC Rennes. L’année de césure devient la norme, et, dans certaines écoles comme l’ESCP Europe qui possède six campus, il est possible de passer la première année à Turin ou à Paris.
Tout cela fait rêver mais demande des efforts. Cependant, pour ceux qui n’auraient pas fait de prépa, la porte n’est pas fermée. Les profils littéraires ou technologiques ne sont plus exclus et disposent d’épreuves spécifiques. Ainsi, l’exkhâgneuse Isabelle Ligner-Vrignaud, 24 ans, a intégré l’EM Strasbourg. « Il a fallu que je prouve ma légitimité pendant les oraux. Certains me regardaient de haut en se disant que je m’étais trompée et, une fois dans l’école, il a fallu que je m’accroche en cours de statistiques ou de comptabilité. Mais, très vite, je me suis sentie à ma place. » De plus en plus d’écoles ouvrent également des voies destinées aux titulaires de BTS, de DUT ou de licence. Même les plus grandes s’y sont mises – HEC organise ainsi un concours d’admission directe pour les universitaires. Ces entrées parallèles permettent de se faire une place en évitant les concours, à la condition d’avoir un dossier béton, un bon niveau en langues et des expériences professionnelles qui témoignent d’une réelle motivation pour l’entreprise. Il faut souvent atteindre des scores prédéterminés à des tests comme le Toefl en anglais ou le Gmat pour les examens de logique. « Mais ces épreuves se bachotent, explique Marine Stéphanopoli, diplômée de l’Essec. A force d’en faire, on finit par en comprendre la logique. » Des étudiants venant de fac de sport, de langues ou de génie mécanique peuvent ainsi tenter leur chance. Certaines écoles, comme Pau ou Clermont, accueillent même une majorité de leurs élèves « sur titre », après une licence ou un DUT, ce qui leur permet de former des promotions aux origines sociales et aux talents plus diversifiés. « Ces élèves aux parcours différents sont un facteur d’enrichissement pour les diplômés, assure Herbert Castéran, directeur de l’EM Strasbourg. Nous accueillons de nombreux scientifiques, mais nous encourageons les profils technologiques, par exemple, à venir nous rejoindre. »